Conférence de Mark Waid au TGS 2017

Conférence de Mark Waid au TGS 2017

Mine de rien, la venue du scénariste Mark Waid dans le cadre de la onzième édition du TGS a fait son petit effet chez les fans de comics du salon. De fait, lorsqu’on a appris que l’homme serait invité à une conférence organisée en son honneur par le maître d’œuvre Xavier Fournier (spécialiste comics, conférencier, journaliste, essayiste qui a notamment écrit Comics en Guerre ou Super Héros : L’Envers Du Costume), on s’est vite pressé du côté de l’amphi Pandora du Hall 6 du Parc des Expositions pour en apprendre un peu plus sur ce Mark Waid qui ne laisse pas indifférent…
 

Comment passe-t-on de simple lecteur de comics à un professionnel ?

En fait, j’ai commencé à travailler dans des conventions de comics. C’est moi qui étais chargé d’accueillir les artistes à l’aéroport et de les conduire sur le lieu de la convention. C’est à partir de là que j’ai pu me faire un réseau de connaissances et petit à petit je suis devenu éditeur.
A la base, je ne souhaitais pas du tout être scénariste… Je ne voulais être rien d’autre qu’un éditeur, c'est-à-dire la personne qui manipule les personnages en coulisse et qui ne met pas trop les mains dans le cambouis… mais au final, je suis devenu scénariste. Quel échec ! (rires)


Mark Waid - TGS 2017 © MDCU (Crédit : Yann Monesma)

Tout a changé le 26 décembre 1978 quand j’avais 15 ans. Ce jour-là, je suis allé voir le film Superman avec Christopher Reeves et quand je suis sorti du cinéma, je savais que j’allais avoir une connexion forte avec Superman pour le restant de ma vie ! - Mark Waid

S’il y a un personnage qui vous tient beaucoup à cœur, c’est bien Superman . D’où vient cet attachement ?

C’est très simple : quand j’étais jeune, j’ai grandi dans une famille qui déménageait beaucoup, je n’avais pas de figure paternelle à mes côtés, je n’avais pas d’amis et j’avais l’impression que personne ne se souciait de moi.
Puis, tout a changé le 26 décembre 1978 quand j’avais 15 ans. Ce jour-là, je suis allé voir le film Superman avec Christopher Reeves et quand je suis sorti du cinéma, je savais que j’allais avoir une connexion forte avec Superman pour le restant de ma vie !
Ça a été un véritable électrochoc car j’avais l’impression que personne ne s’occupait de moi, alors que Superman lui, prenait soin de tout le monde. Bien entendu, je savais bien que c’était un personnage de fiction, mais à cette époque-là, l’altruisme de l’homme d’acier m’avait réellement beaucoup touché.
Je peux donc dire que Superman a sauvé ma vie ce 26 décembre 1978 !

Certains éléments de la série Superman : Birthright (Superman : Droit du Sang en VF – Ndr) sur laquelle vous avez travaillé se retrouvent dans les récentes adaptations cinéma de Superman . C’est un motif de satisfaction pour vous ou vous pensez que ces éléments ne reflètent pas vraiment ce que vous aviez initialement écrit ?

Oui, c’est vrai qu’il y a des petites choses de Superman : Birthright qui se sont retrouvées dans Man Of Steel comme le « S » qui signifie l’espoir etc., mais je trouve que le film est abominable, car Superman ne tue pas des gens !

Il y a une autre série emblématique des années 90 sur laquelle vous avez travaillé, c’est Kingdom Come. A partir de là, vous avez souvent dévoilé un Superman plutôt « dysfonctionnel » en mettant en avant ses faiblesses. Pour quelqu’un qui aime autant Superman , comme se fait-il que vous écriviez autant sur un Superman qui « ne fonctionne pas » ?

Quand Alex Ross est venu me voir pour de premières idées sur Kingdom Come, il n’avait que quelques sketches et il avait besoin d’un Superman vieillissant qui avait pris sa retraite. Mais de mon côté, j’avais du mal à imaginer que Superman pouvait prendre sa retraite. Pour moi, la seule chose qui pouvait induire son inactivité c’était que le monde n’avait plus besoin de lui. Cependant, j’ai pas mal travaillé sur les défauts inhérents au personnage…

Comment se passe la gestation de l’écriture d’un projet pour vous ?

En général, j’aime bien travailler sur des personnages que j’adore depuis mon enfance et auxquels je pense depuis que je suis enfant. A partir de là, mon idée première est de revenir aux sources de ce personnage et de réfléchir à tous les éléments narratifs qui fonctionnent avec lui. Je ne travaille pas comme d’autres scénaristes qui veulent à tout prix mettre leur identité sur un personnage qui ne leur appartient pas et qui cherchent souvent à se l’approprier. Il ne faut pas perdre de vue qu’un scénariste ne doit exister que pour le personnage, et non l’inverse !
Quand des personnages existent depuis des décennies, il faut donc réfléchir à ce qui marche avec eux car ce n’est pas pour rien que ces super-héros existent depuis si longtemps…

Quand vous travaillez pour Marvel et DC, est-ce que vous vous projetez dans l’écriture de manière très précise ou est-ce qu’il y a une part d’improvisation ?

En général tout est improvisé ! (rires) En fait, j’ai une idée globale de là où je veux aller et j’adapte mon écriture au fur et à mesure. Ça me permet de surprendre les lecteurs et de me surprendre parfois moi-même ! Par exemple, quand j’écris un cliffhanger à la fin entre deux numéros, je n’ai aucune idée comment le héros va s’en sortir ! (rires)
Pendant une partie de ma carrière, je pensais que c’était une erreur de travailler comme ça, mais avec le temps je me suis aperçu que c’était plutôt une bonne chose.

Vous avez beaucoup travaillé sur Flash et vous êtes à l’origine du concept de la Speed Force qui est beaucoup utilisé sur la série TV. Pourtant vous n’êtes pas crédité au générique. Comment vivez-vous ça ?

Quand on travaille en tant que scénariste chez Marvel ou DC, on sait à la base que si une idée dans un comics est reprise dans une adaptation TV ou cinéma, on n’aura pas de royalties ni même de crédit. Il peut arriver que ce soit le cas, mais c’est très rare et généralement lié à des raisons légales très particulières.
Cependant, je suis très fier quand je vois que certaines de mes idées sont reprises comme pour la Speed Force dans Flash. D’ailleurs sur mon téléphone, j’ai un extrait de la série quand on entend parler pour la première fois de la Speed Force ! (rires)

Vous aviez créé le personnage d’Impulse qui est le jeune assistant de Flash et on s’aperçoit qu’il a quasiment disparu. Est-ce que le fait que le personnage soit éteint est une forme de frustration pour vous ?

Honnêtement, oui. Impulse est un très bon personnage dont je suis particulièrement fier – je ne suis pas du genre à me vanter – et je suis un peu frustré qu’il ne soit plus développé… C’est vraiment dommage !


Mark Waid - TGS 2017 © MDCU (Crédit : Vincent BN)

Je ne travaille pas comme d’autres scénaristes qui veulent à tout prix mettre leur identité sur un personnage qui ne leur appartient pas et qui cherchent souvent à se l’approprier. Il ne faut pas perdre de vue qu’un scénariste ne doit exister que pour le personnage, et non l’inverse ! - Mark Waid

Tout à l’heure on a parlé d’un Superman dysfonctionnel, mais quand vous avez travaillé sur Captain America dans Ex-Patriot, vous avez aussi écrit sur un Steve Rogers qui perdait sa nationalité américaine. Là aussi c’est très dysfonctionnel…

Quand j’ai repris le personnage – que j’adore – , j’ai cherché ce qui pourrait lui arriver de pire… et c’était bien la déchéance de sa personnalité. J’ai voulu mettre en exergue les problèmes qui pouvaient arriver aux superhéros de la trempe de Captain America car c’est assez ennuyeux lorsque les personnages n’ont jamais aucun problème…

Est-ce que vous vous sentez plus libre d’écrire ce genre d’histoires en 2017 plutôt qu’en 1990 ?

C’est une bonne question… En règle générale, les éditeurs me font beaucoup confiance car ça fait très longtemps que je travaille dans l’industrie des comics. J’ai plus de poids en 2017 qu’en 1990… Mais les éditeurs savent que quand j’écris sur un personnage, je fais en sorte de ne pas mettre en difficulté la personne qui aura la charge de me succéder.

Vous avez travaillé plusieurs fois sur la série Captain America . Comment on vit le fait de retrouver un personnage ? Est-ce qu’on n’a pas l’impression d’avoir déjà tout dit ?

La première fois que je suis revenu sur Captain America, je savais que je n’avais pas encore tout dit avec ce personnage donc je n’ai pas eu de problème particulier. La deuxième fois, c’était pour une mini-série qui s’appelait Captain America : Out Of Time (Captain America Hors du Temps en VF – Ndr), qui avait une teinte particulière car c’était une histoire que je voulais raconter il y a longtemps… Je suis encore revenu sur ce personnage mais cette fois avec Chris Samnee. Ça m’a permis de me relancer.
En effet, le risque de reprendre plusieurs fois le même personnage c’est que les lecteurs font des comparaisons avec les anciennes histoires… Chris est donc mon filet de sécurité car il est tellement bon que personne ne détestera les nouvelles aventures de Captain America ! (rires)

Est-ce que le fait que Captain America représente les Etats-Unis et que les Etats-Unis ont changé depuis la première fois que vous avez travaillé sur ce personnage dans les années 90, vous permet d’avoir des approches différentes dans vos histoires ?

Oui, d’autant plus qu’avec Donald Trump au pouvoir, les Etats-Unis sont plutôt divisés même si une grande partie de l’opinion ne soutient pas ce président… je pense que même Captain America aurait des problèmes avec le président actuel ! (rires)
On vit vraiment une époque curieuse et je ne sais pas si Donald Trump est la cause de la division aux Etats-Unis ou s’il en est le résultat… Cette division se retrouve aussi dans le lectorat des comics, car certains fans ont l’impression qu’on attaque leur conservatisme – même si ce n’est pas vraiment le cas – et se mettent souvent en colère. Personnellement, je ne suis pas d’accord avec cette colère, mais je veux chercher à la comprendre…
Il y a aussi une petite partie de « fans » haineux qui harcèlent les artistes, notamment des jeunes femmes, avec des menaces de mort, des violences etc. et ça, c’est totalement intolérable ! Je déteste les gens qui harcèlent les autres et je fais en sorte d’essayer de tout faire pour aider ces jeunes artistes. De fait, ces « fans » s’en prennent à moi, mais ça ne me touche pas. Et puis, de toute façon, un homme sans ennemi est un homme qui n’a pas d’intégrité…


Mark Waid - TGS 2017 © MDCU (Crédit : Vincent BN)

Il y a une petite partie de « fans » haineux qui harcèlent les artistes, notamment des jeunes femmes, avec des menaces de mort, des violences etc. et ça, c’est totalement intolérable ! - Mark Waid

Vous avez écrit une série qui s’appelle Strange Fruit, avec un Superman noir qui arrive dans une Amérique raciste. Comment ce message a été perçu ?

Si des lecteurs essayent de comprendre le message et qu’ils n’y arrivent pas, alors c’est entièrement de ma faute car ça veut dire que j’ai mal communiqué mes idées. Par contre, si les lecteurs ne comprennent pas mon message volontairement et qu’ils ont l’intention de propager des idées haineuses, je ne peux leur dire qu’une seule chose : « fuck off ! » [applaudissements dans la salle]

Vous êtes intervenu pendant plusieurs années sur le personnage de Daredevil avec le dessinateur Paolo Rivera. L’approche de la série était très graphique… Est-ce que le scénario impose la forme graphique ou est-ce l’inverse ?

C’est un peu des deux… En règle générale quand je travaille avec un artiste, je lui explique que mon script est à moi, jusqu’au moment où il s’en empare. J’ai besoin que le dessinateur s’investisse, critique mon écriture, apporte des idées pour qu’au final, ce soit notre travail à tous les deux.
Cependant, j’ai conscience que le travail du scénariste est plus rapide que celui de l’artiste qui va travailler des semaines voire des mois sur mon script. Je ne les considère donc pas comme des robots…

Est-ce que vous savez toujours à l’avance quel dessinateur va illustrer vos scripts ? Est-ce que ça peut conditionner vos histoires ?

Non, je ne sais pas toujours avec quel artiste je vais travailler mais lorsque je le sais à l’avance, ça peut avoir en effet une influence sur mon script. Par exemple, je sais que Chris Samnee adore les scènes d’action et excelle dans la narration de l’action dans le découpage des planches, notamment. A l’inverse, Barry Kitson lui, est plus à l’aise dans les choses plus subtiles, dans les détails…
Quoiqu’il en soit, je laisse toujours sur tous mes scripts mes coordonnées téléphoniques et mon adresse mail pour que les dessinateurs puissent me contacter s’ils ont la moindre question !

Une autre série récente sur laquelle on peut vous retrouver c’est The Avengers. Là, l’exercice semble plus difficile car les personnages sont le fruit du travail de nombreux artistes et de scénaristes aux personnalités différentes. Ce n’est pas un cauchemar de travailler sur une telle série ?

Oui, ce n’est pas toujours facile… mais la seule chose qu’on puisse faire quand on travaille sur plusieurs personnages qui apparaissent dans une autre série (ce qui est le cas avec The Champions en ce moment), c’est d’y inclure aussi les vôtres, de façon à avoir un ou deux personnages sur lesquels vous avez toute latitude.
Avec Marvel, les choses sont plutôt cool car ils ne sont pas embêtants avec la cohérence d’une série à l’autre. Ainsi, on peut travailler par exemple sur Spider-Man avec The Avengers et en même temps sur la propre série Spiderman et l’envoyer dans l’espace ! (rires) Ce qui est important c’est l’évolution générale des personnages qui doit être cohérente au fil de la série et non pas la continuité entre les différents numéros. C’est un peu le cas dans la série TV The Simpsons où un personnage fait des choses différentes d’un épisode à l’autre : l’important c’est la cohérence générale et non pas la continuité.

Pour prendre un exemple précis, vous aviez introduit un triangle amoureux entre Jane Foster , Captain America (Sam Wilson) et Thor … Comment ça s’est passé dans ce cas-là ? Vous avez dû prévenir les auteurs de ces personnages ?

En règle générale, quand j’écris quelque chose sur un personnage qui ne m’appartient pas, je demande l’autorisation au scénariste officiel de la série, ne serait-ce que par politesse. J’aime bien que les autres scénaristes fassent de même quand ils travaillent sur des personnages sur lesquels je suis moi-même en train de bosser.


Mark Waid - TGS 2017 © MDCU (Crédit : Vincent BN)

Marvel a bien compris que ses lecteurs sont de tous les âges et qu’il faut proposer des alternatives à tous ceux qui ont un peu marre de toujours lire des histoires qu’avec des blancs. C’est très important que le lectorat puisse se trouver des connexions avec des personnages de tous les horizons. - Mark Waid

Que se passe-t-il quand vous n’êtes pas satisfait du travail d’un autre scénariste sur un de vos personnages ?

Ça m’est arrivé il y a quelques temps quand deux auteurs ont repris le personnage d’Impulse que j’avais créé… Mais ça fait partie du fait qu’on travaille dans un univers partagé, ça fait partie du jeu.
A l’inverse, quand je bosse sur Miles Morales (le Spiderman noir), j’imagine que ma façon de voir les choses ne convient pas toujours à Brian Michael Bendis… Il ne faut pas perdre de vue que nous travaillons dans une communauté et que ce genre de choses arrivent. Chez Marvel, nous nous voyons tous trois ou quatre fois par an, et ça nous permet d’échanger entre nous pour parler des évolutions de nos différents personnages et de nos façons de voir les choses.

[Questions du public]

Que pensez-vous des jeunes héros de plus en plus présents dans l’univers Marvel qui représentent le multiculturalisme américain, comme Miles Morales ?

C’est super ! Marvel a bien compris que ses lecteurs sont de tous les âges et qu’il faut proposer des alternatives à tous ceux qui en ont un peu marre de toujours lire des histoires qu’avec des blancs. C’est très important que le lectorat puisse se trouver des connexions avec des personnages de tous les horizons. D’ailleurs, je suis très heureux qu’il n’y ait qu’un seul blanc dans ma série, The Champions !

Qu’avez-vous pensé de Captain America après le run de Nick Spencer qui a fait de Steve Rogers un agent de HYDRA ?

En fait, quand j’ai repris la série avec Chris Samnee, on s’est aperçu que le personnage de Captain America était assez solide pour repartir vers de nouvelles aventures… il n’avait pas besoin de mon aide pour rebondir !

Que pensez-vous du comics Superman vs Muhammad Ali ? Est-ce que vous avez travaillé dessus ?

Non, je n’ai pas travaillé sur ce comics car je n’avais que 15 ou 16 ans à l’époque ! (rires) Mais j’ai adoré cette BD qui est maintenant assez ancienne. [Il s’adresse au public] Si vous ne connaissez pas ce comics, achetez-le vous car c’est un des comics les plus cool que vous pourrez lire !

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