Faut-il tuer les super-vilains ?

Faut-il tuer les super-vilains ?

Article écrit le 18 décembre 2023 sur la base d'un article écrit par Khésistos en octobre 2012.

Depuis 1938, la plupart des super-héros ont pour principe de ne pas tuer, autant que faire se peut. Pourtant, avec tous les meurtres que commettent les super-vilains, s'élevant parfois au millier de victimes, on peut se demander s'il ne vaudrait pas mieux les éliminer plutôt que de persévérer dans le symbolisme. Après tout, le nombre de super-vilains qui fait véritablement pénitence et change après avoir été incarcéré se compte sur les doigts de la main. Et à l'inverse, ceux qui s'échappent et récidivent sont légion. En partant de ce principe là, est-on vraiment sûr qu'enfermer les super-vilains est la meilleure décision à prendre pour la société ? Ne vaudrait-il pas mieux pour tout le monde de les éliminer tout de suite ?

Un peu comme pour la peine de mort, parler de super-héros qui en viendrait à tuer est un débat qui n'a pas vraiment de conclusion du fait qu'il soulève bien plus de questions qu'il n'apporte de réponses. Nous allons tout de même tenter de voir un peu les deux points de vue et les difficultés qu'une telle décision soulèverait. N'hésitez pas à donner votre point de vue dans les commentaires.


 

Un super-héros doit faire le bien et tuer, c'est pas bien

C'est par principe que le super-héros ne tue pas. Ce choix, il le fait par conviction. Ça peut être pour un idéal de non violence, une volonté de montrer l'exemple ou par peur de franchir une certaine limite. Cette idée de représentation est la plus généralisée chez ces demi-dieux. On dit souvent que l'on prend exemple sur ceux que l'on estime, comme nos parents, nos aînés, nos supérieurs hiérarchiques, et bien sûr nos héros. Ces derniers cherchent à s'ériger en symbole pour la population et ainsi, améliorer le monde. Dans le film Batman Begins, on nous présente une belle analyse de cette idée à travers Ras Al Ghul qui dit: "Si vous dépassez votre condition d'être humain... Si vous vous consacrez entièrement à un idéal et si vous êtes insaisissable, là seulement vous serez devenu autre chose... une légende monsieur Wayne". On comprend alors que le super-héros doit être au-dessus des autres s'il veut être admiré pour ensuite inspirer. S'il refuse de tuer, il espère que les citoyens en feront de même. C'est une constante chez les super-héros qui ont une vision idéaliste des choses qui veulent faire régner la Justice . Pour les mêmes raisons, si un super-héros met fin à la vie de ses ennemis, ses admirateurs pourraient très bien en faire de même. Prenons comme exemple un super-héros lambda. Il est admiré de tous, et le fait qu'il exécute les vilains permet de diminuer la criminalité. Ce n'est pas aussi simple dans la réalité mais on se limite à cette hypothèse pour cette image. De ce fait, si Captain Lambda est aussi adulé, il sera imité. De la même manière que lui, ses fans tueront leurs ennemis et exécuteront ceux qu'il estiment être des "méchants". Cette idée d'admiration que je mets en avant, on peut la voir à la fois dans les comics Marvel et DC, sur tous les petits personnages qui ont des t-shirts à l'effigie de leurs super-héros préférés.

 

Si le super-héros tue, il tue qui ?

Pour répondre convenablement à la question "le super-héros doit-il tuer ?", il faut répondre à une autre question : "S'il tue, il tue qui ?". Si le super-héros se met à tuer, il faudra forcément se poser la question de la limite. Qui mérite de mourir ? Qui mérite de vivre ? Quelle est la hiérarchie des crimes ? Assassiner semble être le pire des crimes et on pourrait se dire que les tueurs en série devraient être les premiers à être éliminés. Pourtant, si une petite fille subit mille tortures sans pour autant mourir, il y a fort à parier que les parents de la petite fille mettraient volontiers le responsable en haut de la liste des personnes qui devraient finir sur une chaise électrique. Rapidement, on se rend donc compte que tout est une question de point de vue. Sur ce point, Death Note semble donner un élément de réponse. Dans le manga, Light Yagami commence par éliminer tous les plus grands criminels de la planète. Et bien que tout le détail n'est pas donné, on sait, notamment par l'intermédiaire de Mikami, que l'idée est ensuite de descendre dans la hiérarchie des crimes pour finir par ceux qui sont inutiles à la société (un fait que Light Yagami valide même si, selon lui, il était encore trop tôt pour en parler). Dans Death Note, Kira mettrait donc la limite au niveau de ceux qui feraient preuve d'un peu trop d'oisiveté (ce qui n'est pourtant déjà plus un crime). Bien qu'il s'agisse d'un manga et non d'un comics, Death Note est assez révélateur du fait que, quel que soit le récit, on aura sans doute toujours tendance à baisser la fameuse limite. 

Mais mettons de côté la limite pour parler d'un autre point tout aussi important. Imaginons qu'un super-héros se lance et décide de tuer les super-vilains. En toute logique, il devrait commencer par ceux qui ont fait le plus de dégâts, non ? D'accord... mais dans ce cas, que fait-on du Joker ? S'il y a bien un homme qui a enchaîné les tortures et les assassinats, c'est bien lui. Mais si l'on part du principe que le Joker  est un malade mental, il ne doit pas être condamné mais soigné. Un super-héros qui passerait outre le fait que la personne soit responsable de ses actes ou non ferait tout sauf faire preuve de justice. Le Joker , qui a pourtant massacré un nombre incalculable de personnes, ne pourrait être jugé responsable de ses actes et tué. Ce premier point sous-entend que, quoi qu'il arrive, le super-vilain doit passer par la case jugement. S'il ne passe pas par cette case, le super-héros prend le risque d'éliminer des malades voire des innocents. 

On en arrive donc au dernier point : qui décide de qui doit vivre ou mourir ? Les super-héros ? Ils peuvent trouver des preuves pour inculper les auteurs présumés des crimes mais en aucun cas ils ne peuvent réaliser d'étude psychiatrique. Ceci sous-entend qu'il faut des spécialistes, qu'un jugement soit rendu bref, ceci sous-entend que les super-héros auraient tout de même besoin d'une cour de Justice . Mais le problème, c'est que ce n'est pas parce qu'il y a une cour de Justice que le jugement rendu sera correct. Un avocat plus doué qu'un autre peut très bien sauver la peau d'un assassin. Un psychiatre peut se tromper dans son diagnostique. Un super-vilain peut être libéré pour vice de forme avant même qu'un quelconque débat ait lieu. Tout ceci peut arriver. Techniquement, Al Capone aurait pu éviter la prison s'il avait pris un avocat spécialisé dans les finances plutôt qu'un avocat plus général. Le meurtrier a fini derrière les barreaux, on peut donc se dire qu'il y a une forme de Justice mais, d'un autre côté, s'il a été condamné, c'est pour une évasion fiscale. Une évasion fiscale pour laquelle il ne pouvait plus être condamné normalement car il y avait prescription. Et tout ceci, tous ces petits rouages qui peuvent, en un rien de temps, partir dans un sens ou dans l'autre, les super-héros les connaissent très bien. Nous avons déjà vu des super-héros montrer leur désaccord parce qu'untel avait été relâché pour une quelconque raison. Ils croient en la Justice , mais ce n'est pas pour autant qu'ils sont tenus d'être en accord avec toutes les décisions qui ont été prises. En sachant cela, comment réagirait le super-héros si, selon lui, le super-vilain était responsable de mille crimes mais libéré pour une quelconque raison ? Irait-il contre l'avis du tribunal pour délivrer une Justice différente ? Irait-il jusqu'à le tuer ? Si tel est le cas, quelle est la légitimité des super-héros ? A aucun moment la population ne les a élus, choisis ou leur a demandé de gouverner. Et si, effectivement, ils se liguent contre les institutions mises en place, cela revient à prendre le pouvoir par la force... et donc, revient à dire que le super-héros n'est plus un super-héros mais un tyran.

 

Meutre par inaction ?

Une question relevée par un de mes amis s'est trouvée particulièrement intéressante. Un super-héros qui laisse en vie un super-vilain a peut-être la responsabilité de ses prochaines victimes. Ca signifie alors que, peu importe le principe revendiqué par le super-héros, il tue indirectement par son inaction. De même que l'on peut penser que le super-héros qui refuse d'avoir du sang sur les mains a peut-être en fait peur de sacrifier sa morale, terrifié par la culpabilité qui pourrait le poursuivre. Pourtant, s'il choisit de sacrifier sa vie, il pourrait aussi sacrifier sa conscience. C'est le cas d' une équipe de mutants, X-force, qui tue ses ennemis pour éviter qu'ils ne s'attaquent à d'autres membres de leur communauté. Ses actions, bien que critiquées et risquées sont faites pour le bien des autres. Enfin, s'obstiner à ne pas tuer peut être vu comme un acte d'égoïsme et d'orgueil. En ne volant pas la vie de ses ennemis, on risque la vie des autres uniquement pour s'enorgueillir d'une supériorité morale que l'on veut absolument garder. En élargissant le sujet, il y a Rorschach dans Watchmen qui veut révéler la vérité sur un vaste complot pouvant entraîner une troisième guerre mondiale. Ce choix, il le fait parce qu'il tient à la vérité. Cet acte peut être alors perçu comme de l'égoïsme. Le Docteur Manhattan, considéré comme étant dénué d'émotions et qui n'agit qu'en fonction de la logique, met fin à la vie de son collègue non sans hésitation. Il le fait pour le bien du monde.

Au final, les arguments des deux camps sont pertinents. Le choix dépend du point de vue et de la position que l'on a face au crime et au système en place. Si on veut améliorer les choses, représenter un idéal pour les autres, ne pas tuer est une bonne chose. Si on ne croit pas aux institutions, que l'on estime que la Justice est laxiste ou corrompue, ou encore, que les victimes méritent d'être vengées, alors le meurtre de criminels apparaît comme une nécessité. Pour en revenir au duel DC-Marvel, je crois que la différence dans la façon d'aborder cette question est en cohérence avec les deux univers. Chez DC, les super-héros sont sacralisés et adulés. Ils sont réellement des exemples pour la population et leurs pouvoirs leur permettent de ne pas tuer leurs ennemis. Chez Marvel, les super-héros sont plus contestés. Certains sont des exemples, d'autres pointés du doigt, voire pourchassés. Je pense aux X-men, et au Hulk par exemple. Les premiers sont victimes de politiques anti-mutantes, le second est vu comme un monstre. Aussi, les lecteurs aiment ces super-héros parce qu'ils se sentent plus proches d'eux car ils sont plus humains. Chez Marvel, on accepte les faiblesses morales, on ne leur demande pas d'être des surhommes moralisateurs.

Mais si les arguments des deux camps sont pertinents, comment expliquer que les gentils ne tuent quasiment jamais ? En fait, il y a d'autres raisons, moins profondes, qui peuvent expliquer cela. 

 

L'anti-héros ou l'art de l'équilibre

Dans le cas de l'anti-héros, la situation est un peu différente. Ce dernier étant plus "gris", il a une vision différente du bien et donc, ne suit pas exactement les mêmes règles que les super-héros. Le cas le plus explicite est sans doute le Punisher. Ce dernier, comme les super-héros, met hors d'état de nuire les méchants. Sauf que dans son cas, il les met hors d'état de manière définitive. Et ici, nous nous retrouvons face à un autre dilemme. Un dilemme qui, cette fois, n'est pas philosophique mais bien plus terre à terre. Le voici : Quand le Punisher doit-il tuer... du point de vue de l'éditeur ? Je m'explique. Le Punisher trouve un super-vilain, il le tue, il passe à un autre super-vilain, il le tue. Est-ce que vous vous rendez compte du nombre de personnages qu'il faut créer ? Est-ce que vous vous rendez compte combien il est difficile de développer un personnage, de le rendre intéressant pour les lecteurs et qu'il soit apprécié si le personnage est voué à disparaître vingt pages plus loin ? Lorsqu'un personnage apparaît tous les quatre ou cinq ans et que vous pouvez continuer son histoire, c'est facile. Mais lorsque vous n'avez que quelques pages pour le faire apparaître, lui donner une origin story, le faire apprécier et le faire mourir entre les mains du Punisher, c'est une autre histoire. La solution serait donc de faire survivre les super-vilains. Si Jigsaw est aussi apprécié, ce n'est pas pour rien. C'est parce qu'il a échappé plusieurs fois à Castle et donc, qu'il a pu avoir une histoire plus longue, plus construite que les autres. La solution pour avoir des personnages intéressants et pour ne pas avoir à en créer continuellement de nouveaux serait donc la longévité. Il faut recycler ce qui a été fait et ça, les éditeurs savent d'ailleurs très bien le faire. Sauf que, dans le cas du Punisher, cette technique a ses limites. C'est quoi un Punisher qui ne tue pas ? Combien de temps restera-t-il crédible dans son rôle si tous les méchants lui glissent entre les doigts ? Ici, vous devez donc jouer avec le nombre de morts, trouver un bon équilibre. Vous devez vous débrouiller pour donner du fil à retordre au Punisher (et pour cela, le meilleur moyen est de faire revenir certains personnages) tout en lui donnant suffisamment de méchants à éliminer pour qu'il reste crédible dans son rôle d'anti-héros / bourreau. Pour le coup, Garth Ennis est peut-être celui qui s'en est le mieux sorti en utilisant un autre subterfuge : l'acharnement. Oui, les super-vilains ne sont pas éliminés par Castle. Oui, ils reviennent. Mais il faut voir dans quel état ils reviennent... Le Russe et Ma Gnucci ont fini dans un état pas possible suite à leur affrontement avec le Punisher. C'est à tel point que le premier, lorsqu'il revient, frôle le robot tandis que la seconde n'est plus qu'une tête et un tronc. Cette solution a le mérite de faire passer Castle pour un massacreur de super-vilain mais tout en réutilisant des super-vilains déjà vus et donc, qui ont une certaine aura.

 

Ce que le fan veut, Dieu le veut ?

On ne va pas se mentir, l'industrie du comics (tout du moins, celle représentée par Marvel et DC) a mauvaise réputation. Chose rare, les fans de Marvel et DC sont également les premiers à pointer du doigt les défauts inhérents à leurs univers. "Il y a trop de reboot et de relaunch", "Le mec est resté mort deux mois, c'est n'importe quoi !", "Plus du mutants ? Bah, un retour en arrière et c'est réglé" etc. A les entendre, le mieux serait d'avoir une véritable histoire avec un début, une fin et, surtout, un peu plus de décisions fermes, irrévocables. Pourtant, même eux se rendent bien compte que, ce n'est pas vraiment possible. Et cela serait encore moins possible si les super-héros se mettaient à tuer. Des comics sans le Joker, Magneto, Fatalis et j'en passe ? Inenvisageable ! Et ceci est une autre raison pour laquelle le super-héros ne tue pas. Il ne tue pas parce que, que les fans l'admettent ou non, ces derniers ne le veulent pas vraiment non plus. Ils veulent des super-vilains increvables et ne veulent en aucun cas voir un Doctor Octopus six pieds sous terre pour toujours (PS : ils ne veulent pas non plus qu'ils crèvent seulement dix mois comme Superman ! Un juste milieu, bien écrit, bien amené, cela serait cool !).

 

La BD, une vitrine

Il ne faut pas oublier que derrière chaque comics, il y a une équipe créative et, surtout, un éditeur. Et en tant qu'entité commerciale, cet éditeur se doit d'avoir une réputation à peu près correcte. Ceci sous-entend, lorsque l'on est éditeur, que l'on propose une majorité de lectures convenables pour le plus grand nombre. Ceci est purement commercial. Si vous voulez vendre, il faut plaire et donc cerner les attentes des lecteurs et s'adapter. Bien sûr, cela ne veut pas dire que vous n'allez proposer que des titres parfaitement respectables, mais simplement que vous allez en proposer suffisamment pour pouvoir tenter d'autres petites choses, plus marginales en parallèle (un peu comme Urban Comics qui est bien obligé de vendre une bonne quantité de Batman  pour renflouer les caisses s'il veut tenter des choses un peu plus "casse-gueule" de temps à autre). Tout cela pour dire que pour avoir une place au soleil, il faut caresser le consommateur dans le sens du poil. Et ceci sous-entend qu'il faut que les super-héros évitent de tuer. Ils ne sont pas obligés d'être de parfaits boy scouts comme à une certaine époque, ils peuvent être un peu plus "gris". Il leur est même possible de braver des interdits (cela les rendra d'autant plus humains, plus intéressants voire plus "cools"). Mais pour ce qui est de braver l'interdit ultime à savoir donner la mort, là, c'est une autre histoire (oui, même dans un pays qui possède vingt-six Etats qui pratiquent, officiellement, la peine capitale dont treize qui le font véritablement). La raison ? Garder un média qui parle au plus grand nombre. Ce n'est un secret pour personne. Beaucoup de jeunes lisent les bandes dessinées. Que penseriez-vous si ces jeunes avaient en face d'eux des hommes aux pouvoirs incommensurables, présentés le plus souvent comme étant des exemples à suivre, qui pourraient donner la mort à quiconque la mériterait selon une institution qui pourrait très bien être dans l'erreur lorsqu'elle rend son jugement ? Après, vous allez me dire que l'on ne parle ici que de personnages. Que ce n'est pas parce que les super-héros tuent que les éditeurs font passer le message "si on t'emmerde, tue". Sauf que cette vérité est de moins en moins comprise. Combien de séries TV ont déjà eu une étiquette "raciste", "sexiste", "grossophobe" ou autre tout simplement parce qu'un personnage l'était ? Le terrain s'avère bien trop glissant pour un résultat aussi hypothétique. S'il s'agit de quelques personnages marginaux comme le Punisher qui tuent, cela passe. S'il s'agit d'un super-héros qui tue mais qui est présenté comme étant en faute comme lorsque Wonder Woman tue Maxwell Lord, cela passe. Mais quel est le message transmis si tous les super-héros s'y mettent ? Pour finir, n'oublions pas non plus que les BD, les jeux video, la musique... sont déjà très souvent la cible des médias dès lors qu'il y a un problème. Rappelez-vous de l'auteur de Seduction of the innocent qui clame haut et fort que les comics sont responsables de la violence de toute une génération. Que se passerait-il si, en plus, ces médias, présentaient l'assassinat comme étant une solution tout-à-fait acceptable à un problème ?

Jusque-là, nous avons répondu à la question "faut-il tuer un super-vilain ?" en se basant sur la question "le super-héros doit-il tuer ?". Mais en se focalisant sur cette dernière, on ne répond que partiellement à la première question. Il y a d'autres pistes à étudier. Et l'une de ces pistes concerne la peine de mort, tout simplement.

 

Quelle est la place de la peine de mort dans les comics ?

Lorsque l'on suit le parcours d'un super-vilain, on se rend vite compte que l'on entre dans une boucle dont les étapes sont presque toujours identiques :

1. Le super-vilain fait une bêtise

2. Le super-vilain et le super-héros s'affrontent

3. Le super-héros déjoue le plan diabolique du super-vilain

4. Le super-vilain est "mis en pause"

5. Le super-vilain revient sur le devant de la scène

6. Retour à l'étape 1

Dans le cas présent, les étapes qui nous intéressent le plus sont les étapes 4 et 5. Lorsque le super-vilain est vaincu, il doit être "mis en pause" afin de laisser sa place à un autre super-vilain. Il est ainsi créé un roulement qui permet de ne pas lasser le lecteur. Le Sphinx a été vaincu ? Top. Par contre, Bane est déjà devant les portes de Gotham, prêt à frapper. Cette mise en pause peut être réalisée de plusieurs manières. Le méchant peut être envoyé dans une unité de soins s'il est jugé malade (c'est le cas de Double Face), il peut être envoyé en prison (c'est le cas du Pingouin), il peut être repoussé temporairement le temps pour lui de mettre en place un nouveau plan diabolique. Cependant, quelle que soit l'option choisie à l'étape 4, neuf fois sur dix (et je dirais même dix fois sur dix si le super-vilain a du succès), on en reviendra toujours à l'étape 5. Le plus souvent, cette étape 5 est d'ailleurs assez vite expédiée. L'auteur explique que le vilain s'est échappé et on passe à autre chose. Cette facilité et cette répétition font d'ailleurs que cette étape est sans doute l'une des moins crédibles de l'univers des super-héros. Et pourtant, elle est indispensable si nous voulons réutiliser le super-vilain. Certains auteurs n'hésiteront d'ailleurs pas à souligner ce caractère répétitif. On peut penser à Batman qui a déjà déclaré "cet asile est une vraie passoire" en parlant D'Arkham ou encore à la création du super-vilain Double-Tour, né de l'incapacité des systèmes dits "classiques" à encadrer et, surtout, à garder convenablement les super-vilains incarcérés.

A présent, imaginons que les super-vilains ne soient pas des personnages de bande dessinée mais des personnages réels. Que se passerait-il ? Ici, la plupart du temps, vu les méfaits perpétrés par mes méchants, il n'y aurait pas de boucle car il n'y aurait pas d'étape 5. A la place, ils seraient en prison à vie... ou pire. Suivant l'Etat dans lequel ils se trouvent, ils pourraient très bien être condamnés à mort. Sauf que cette condamnation n'est pas vraiment possible dans l'univers des super-héros.

En effet, il existe quelques sujets tabous chez les super-héros et la peine de mort semble en faire partie. Sujet rarement abordé, il est d'autant plus rare que l'on voit un super-vilain condamné à mort. Et pour cause, le code moral des super-héros met la vie au-dessus de tout le reste. Autrement dit, le fait qu'un Etat puisse condamner à mort va à l'encontre de ce en quoi ils croient (et plus particulièrement le fait que tout le monde puisse changer). Or, ce sont les super-héros qui sont supposés être les garants de la vérité. Si l'ensemble de la communauté de super-héros dit bleu et que le gouvernement dit rouge, il y a fort à parier que la bonne réponse soit bleu, ce qui mettrait systématiquement l'Etat et ses institutions en porte-à-faux, chose que les éditeurs voudront sans doute éviter. De plus, on peut également penser que la peine de mort est l'un de ces débats qui n'a pas vraiment de fin. Un débat qui n'a pas vraiment de réponse unanime. Il est donc tout-à-fait possible que les éditeurs mettent de côté ce sujet pour éviter de prendre parti, ce qui lui vaudra forcément d'avoir une partie de la population à dos (ce qui est étonnant car les auteurs prennent de temps en temps position contre le port d'arme qui est, pourtant, un débat tout aussi houleux aux Etats-Unis).

Pour finir, on notera également qu'ajouter la peine de mort dans les récits super-héroïques donnerait des situations ridicules. Comme vous le savez sans doute, les super-vilains sont des spécialistes de l'évasion. Maintenant, imaginez qu'un super-vilain se fasse systématiquement la malle alors qu'il est dans le couloir de la mort et qu'il se retrouve face à un super-héros. Que se passerait-il si le super-vilain, dans le feu de l'action, tombait d'un toit ? Le super-héros continuerait de risquer sa propre vie pour sauver celui du super-vilain pour le remettre dans le couloir de la mort pour qu'il soit quand même tué le lendemain ? Quel serait l'intérêt de tout ceci ? Cela serait pour que le bourreau mérite son salaire, un truc du genre ? Mettre la peine de mort dans l'équation n'est pas possible car cette punition sous-entend que les super-héros ne peuvent pas sauver, inspirer tout le monde. Condamner à mort, c'est admettre que certaines personnes ne peuvent pas changer, et cela ne colle pas avec les idées positives que veulent et doivent véhiculer les super-héros. 

Pour conclure, nous dirons donc qu'il n'est pas vraiment possible de tuer les super-vilains. Ce n'est ni dans l'intérêt du super-héros, ni dans celui de l'éditeur, ni dans le nôtre. Et bien que l'on puisse trouver consternant le fait que le super-héros se bute à mettre en prison les pires criminels jusqu'à leur prochaine évasion, il faut garder à l'esprit que c'est parce qu'ils mettent la Justice au-dessus de tout. Attention, pas nos institutions ou notre système judiciaire mais bien la Justice , celle que l'on pourrait mettre avec un "J" majuscule. Les super-héros veulent nous faire comprendre que le plus important n'est pas de croire que la Justice fait son travail mais plutôt de croire en son existence et de faire le maximum pour qu'elle soit rendue.

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