Panini continue de proposer des alternatives à ses sorties Marvel avec des séries venant d’éditeurs indépendants, grâce à sa collection Fusion Comics. Brian Wood est un scénariste que l’éditeur aime mettre en avant, car c’est souvent une valeur sure. On pense par exemple à The Massive ou Conan le Barbare. La dernière série indépendante écrite par le scénariste à sortir en France est donc Mara. Aux Etats-Unis, c’est une mini-série en 6 fascicules sortis en 2012/2013. En France, c’est donc parfait pour un album unique contenant l’intégralité de l’histoire. Mais vaut-elle le coup ?
Dans ce récit complet, Brian Wood nous situe très arbitrairement l’histoire, comme il lui arrive de faire. L’intérêt ne dépend pas de ça. Nous sommes donc dans une ville dans le futur. C’est un monde assez proche du notre, mais aussi assez proche de la Rome Antique. En effet, celui-ci est en guerre, l’économie est en berne et les divisions raciales sont de plus en plus marquées. Alors bien entendu, tout est exacerbé, mais globalement, on peut y voir un parallèle avec la réalité. Sauf que là, on est dans le futur, et le sport a été mis en avant afin de faire oublier aux gens toute cette misère, au même titre que le football chez nous ou les combats de gladiateurs dans la Rome Antique. Il y a dans cet univers de fiction, un lien fort entre le sport et l’armée, et la formation des joueurs est poussée très loin.
En effet, dès leur plus jeune âge, des enfants sont séparés de leurs parents pour devenir militaire et partir en guerre, ou bien devenir sportif. L’entrainement semble le même, tout comme l’endoctrinement. Mara fait partie des sportives, et elle a plutôt réussie sa vie considérant les standards de ce monde. C’est l’une des meilleures joueuses de volley-ball. Du coup, c’est une superstar, une icône, adulée par tout le monde. L’ambiance fait penser à Rollerball, voire Hunger Games, sauf qu’ici, le sport n’est pas une version violente de quelque chose d’existant, mais du volley. Ce qui va marquer le début de l’histoire de Mara est l’apparition de ses superpouvoirs. On va donc rapidement la traiter de tricheuse.
La force de ce récit est la cohérence du monde dans lequel il évolue, et les analogies qui peuvent être faites avec le nôtre. On retrouve le style de Wood qui décrit les faits d’une manière précise, mais à la fois évasive (pas de date ou de nom de lieu). Souvent, on entend en fond les informations provenant de TV ou radio, et c’est un peu la caricature de nos médias : une profusion d’informations où les histoires liées aux sports priment sur celles liées à la guerre. Le récit est très contemporain dans sa description des médias, le sport est présenté comme une émission de télé-réalité où les spectateurs veulent tout savoir de leurs sportifs. Au-delà de l’histoire de Mara, et donc de la découverte de ses superpouvoirs, c’est l’univers qui est passionnant.
Pourtant, on a l’impression que Wood, par le biais de son héroïne, pousse un cri contre cette société, et donc indirectement contre notre société. Mara va être reniée, car accusée d’avoir triché. En parallèle, ses pouvoirs vont augmenter en puissance. On va la comparer à une arme déterminante pour la guerre, comme l’a été l’arme nucléaire. On trouve donc un parallèle très fort avec le Dr Manhattan de Watchmen par exemple. Le pouvoir va lui permettre un détachement du reste de la société, et d’avoir un recul suffisant pour voir l’absurdité de ce système. On retrouve l’enfer de Sartre, où finalement Mara, par ses relations biaisées, saisit qu’elle est seule dans un monde qu’elle ne comprend pas. Le personnage peut sembler peu travaillé, mais c’est tout simplement qu’il n’y a rien à dire sur elle, elle ne vit pas, et elle permet aussi de nous projeter plus facilement.
Tout ça semble bien sombre, mais le récit finit sur une note plutôt positive. Le thème principal de l’histoire semble être la compétition, celle que l’on retrouve aussi dans notre monde, mais ici bien plus mise en valeur. On voit tout le long du récit ce que cette hyper-compétitivité a apporté comme misère au monde, que ce soit par le sport ou la guerre. Mais à la fin, et là je vous invite à sauter la suite du paragraphe si vous comptez lire l’album, Wood fait un peu le point avec son héroïne. On voit pour la première fois dans ce monde, une chose qui semblait ne plus exister : la science. Par ce biais, Mara découvre que la compétition n’apporte pas que du malheur, mais aussi le dépassement de soi. Cette volonté qui a permis à l’humanité de progresser, et d’arriver où elle en est. Le parcours initiatique de l’héroïne est donc terminé, et elle est prête à vivre.
Alors bien sûr, tout le monde ne sera pas sensible à ces thèmes, et le côté purement super-héros du récit peut sembler un brin décevant. On a vu des origines plus intéressantes, mais l’intérêt n’est pas là. Cette histoire me parait être assez personnelle pour Wood, qui montre peut-être une certaine fatigue à voir ce que devient le monde autour de lui. De plus, niveau dessin, Ming Doyle assure et sert merveilleusement bien le récit. Les silhouettes sont allongées et fines. L’imprécision du trait donne un aspect organique aux planches. Et Jordie Bellaire assure toujours aux couleurs. Bref, c’est au top graphiquement ! Au niveau de l’album, c’est le format cartonné de base des Best Of Fusion. La traduction propose parfois des tournures maladroites, voire pas très française, mais ça reste très discret. On notera trois pages d’études de personnages à la fin plutôt bienvenues.
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