[Review VF] Supergods de Grant Morrison

[Review VF] Supergods de Grant Morrison

Grant Morrison, le scénariste que l’on est habitué à voir derrière les pages de nos comics déjantés, a signé en 2011 un livre, joli pavé de presque 500 pages, intitulé Supergods. Si ce n’est pas un comics, on ne s’éloigne pourtant pas du thème et on se retrouve même au cœur de celui-ci puisque l’écossais aborde l’histoire du comic book de super-héros, son impact sur la société et sa réciproque, mais nous parle également de sa carrière, à travers une partie autobiographique. L’éditeur français Huginn & Muninn et ses éditions Fantask nous propose la traduction de ce bel ouvrage, disponible depuis quelques années maintenant. Alors que vaut cette vision des super-dieux par l’un de ceux qui les a si souvent écrits et analysés ?

Superbe couverture signée Mike Allred

Grant Morrison ouvre son livre avec la naissance des premiers super-héros, l’âge d’or des comics, ce qui semble plutôt cohérent. Il insiste notamment sur les deux premiers, les pères des super-héros, à savoir Superman et Batman . Les autres seront cités plus rapidement par la suite, plus accessoires à des analyses de la société de l’époque et de l’évolution du medium qu’est le comic book. Mais il insiste sur les deux premiers, et nous offre des résumés des premières histoires et des introductions des personnages, ce qu’il fera souvent par la suite lorsqu’il citera des personnages et des séries. C’est un élément qui est intéressant lorsque l’on ne connait pas ces histoires en détail, mais il y a sans doute un peu trop de résumés sur l’ensemble du livre, notamment dans ses premières parties ; ce qui n’est pas forcément ce que l’on attend. Par contre, il y ajoute aussi sa vision des choses, son analyse à lui, et là ça devient bien plus intéressant. Ce sont des choses auxquelles on ne pense pas forcément et que seules son esprit à lui peut mettre en évidence. Il s’amuse aussi régulièrement à analyser les grandes couvertures célèbres : les évènements représentés, les positions des différents personnages et décors, les textes affichés ; ce qui s’avère là aussi plutôt intéressant à lire.

Morrison parle peu de lui dans les premiers chapitres, et vous me direz que c’est bien logique puisqu’il raconte les choses de manière chronologique et qu’il n’était pas encore né dans les années 40/50. Et vous auriez raison. L’écrivain aborde l’âge d’argent, la naissance de Marvel, les contributions inestimables de Stan Lee, Jack Kirby, Steve Dikto et compagnie. Il glisse sans doute quelques informations que l’on n’avait pas en tête, mais il est certain que ce sont des choses que les passionnés de comics connaissent. Une piqûre de rappel avec quelques éléments inédits et le style d’écriture de Morrison ne fait jamais de mal pour autant, bien au contraire. Et n’oublions pas qu’à contrario, ce sont des choses absolument indispensables à connaître pour les lecteurs qui ont moins de connaissance sur l’histoire des comics. Mais là où ça devient vraiment intéressant, c’est lorsque l’auteur entre dans son œuvre et commence à parler de lui. Il nous plonge dans l’Écosse des années 70, nous explique ses racines punk et nous renvoie à la naissance des geeks, dont il fait fondamentalement partie. Il touche au sacré quand il se décrit comme un garçon manquant de confiance en lui, qui ne trouve pas sa place, et que les comics et autres univers imaginaires vont sauver. Sur cet aspect, il parlera sans doute à beaucoup d’entre nous, à toute cette communauté qui a fait vivre les comics et les super-héros à travers les décennies. On s’identifie à ce mouvement, à l’auteur, et il gagne notre attention, notre empathie. Il partage quelques éléments intéressant sur le milieu de la contre-culture de l’époque et de son inclusion dans celle-ci, et on comprend mieux d’où il vient, quelles sont ses inspirations, et finalement, qui il est, lui qui a toujours semblé assez mystique et insaisissable comme auteur.

Pour les gamins moches, ou timides, ou bizarres… Être différent n’était plus un problème. Au contraire, c’était devenu obligatoire.

Tout au long des époques, Morrison va citer les auteurs qui ont façonné les comics, qui, par leurs visions, ont changé les choses ou influencé ces changements. L’auteur s’excuse dans ses remerciements de ne pas avoir pu citer tout le monde, mais il nous offre déjà un joli panorama, des noms que tous les fans de comics devraient connaître sur le bout des doigts. Kirby, Stan Lee, Thomas, Starlin, O’Neil, Claremont, Byrne, Gaiman, Moore, Miller, Ross, Jim Lee, Ellis, et j’en passe et j’en oublie ; il est toujours extrêmement intéressant de se rappeler des travaux de ces monstres et de leur influence sur le medium. Morrison aborde également l’aspect éditorial des choses, en passant un peu derrière le rideau, pour nous parler des contributions, aussi positives que négatives, des éditeurs et rédacteurs en chef des différentes époques de Marvel et DC. Ce sont sans doute des choses moins connues, que l’on a plaisir à découvrir, notamment lorsque cela le concerne directement et influence les choix qu’il a fait durant sa carrière. On regrettera par contre qu’il n’y ait pas plus d’anecdotes personnelles, de manière générale, mais notamment concernant tous ces auteurs et les relations qu’il a pu entretenir avec eux (pour ceux avec qui c’était possible). Ce sont les petites histoires croustillantes que l’on aime lire. On retrouve tout de même des anecdotes et des éléments assez personnels, notamment concernant son arrivée chez DC Comics avec la fameuse invasion britannique des années 80, qui donnera naissance au label Vertigo, pour lequel il écrira les séries Animal Man et Doom Patrol. Il nous parle aussi en détail de ses relations avec deux auteurs qui sont un peu ses fils spirituels, en Mark Millar et Gerard Way. On découvre (c’était en tout cas mon cas) qu’il a vraiment lancé Millar en le plaçant sur la suite The Authority de Warren Ellis, et à quel point il a façonné les premiers travaux du scénariste.

Ses œuvres, Grant Morrison les aborde forcément en long et en large. Il ne prend pas le temps de toutes les détaillées, mais les majeures sont citées d’une manière ou d’une autre. De Captain Clyde et Zenith à ses débuts jusqu’à son chef-d’œuvre All-Star Superman , en passant par Arkham Asylum, The Invisibles, Doom Patrol, JLA, Batman et Final Crisis. Il y a des éléments intéressants à lire sur chacune de ces œuvres, il les utilise même parfois pour appuyer des thématiques plus générales sur l’évolution du medium, et les compare aussi avec d’autres grandes œuvres. Un poil égocentrique peut-être, mais on ne lui en voudra pas, ces travaux ont aussi marqué de nombreux lecteurs, dont je fais partie. En plus des siennes, Morrison revient bien sûr les autres œuvres fondatrices. Et c’est passionnant quand il s’amuse à les analyser à sa façon, parfois même page par page pour nous montrer à quel point cela respire le génie. Il le fait notamment pour les premières pages de Watchmen, qui a évidemment droit à une belle grosse partie dans le livre. Il aborde également le Captain Marvel de Starlin, le Marvelman de Moore, Sandman, The Dark Knight Returns, Kingdom Come, The Authority, et bien d’autres que je n’ai pas notées et qu’il considère comme des œuvres fondatrices, à juste titre.

Il [Alan Moore] allait forcer les comics à grandir, même s’il devait pour cela en violer tous les préceptes devant une foule en délire de punks et de pervers.

Sur la somme de ces 500 pages, Morrison aborde également (présenté ici de manière arbitraire) :  les conventions de pop culture et les fans, le monde des geeks, ainsi que celui des haters et des « trolls ». Son expérience très shamanique qu’il a vécu lors d’un voyage à Katmandou, et qui influencera le reste de sa carrière. Un passage qu’il est un peu difficile à suivre puisque l’on retrouve le Morrison psychédélique que l’on connait parfois dans les comics, et qui nous perd souvent. Ce passage, sans doute fondateur pour lui, est un peu trop long et hermétique pour nous lecteurs. Il accorde un chapitre aux adaptations cinématographiques et télévisuelles des super-héros, notamment Superman et Batman . Un chapitre qui apporte peu de choses, puisqu’il se contente de donner son avis rapide sur quelques œuvres produites. Enfin, Morrison a également un avis intéressant sur le drame du 11 septembre, sa prédiction dans les comics et ce qui en a découlé dans le medium, notamment l’univers Ultimate de Marvel. Ce qui est à noter pour finir, c’est que dans tout ce que nous raconte Morrison, il le fait toujours avec sa voix propre, avec à la fois le recul nécessaire et l’implication de quelqu’un qui a été un acteur majeur des évènements qu’il passe en revue. Toutes ses analyses nous rappellent l’esprit assez débridé de l’auteur, des tournures de phrases parfois très psychédéliques et un ton qui pourrait se définir, je le cite, comme « shamanique-pop ». Ce qui est rudement plaisant à lire.

Les histoires de super-héros sont méprisées, car souvent vues comme l’un des niveaux les plus bas de notre culture. Mais tel un éclat d’hologramme, elles contiennent en miniature tous les rêves et toutes les peurs des générations qui les racontent.

En Résumé

 

LES POINTS FORTS

- L'histoire du comic book
- Les analyses "à la Morrison"
- Les éléments autobiographiques
- Les grands noms et les grandes œuvres

LES POINTS FAIBLES

- Un manque d'anecdotes croustillantes
- Quelques passages un peu long

 

4.5

Pour tous les passionnés de comics

Conclusion

Grant Morrison signe une bible du super-héros ; du début de l’âge d’or des comics, aux œuvres fondatrices modernes, y intégrant ses analyses, sa vie personnelle et professionnelle, avec le ton et les accents débridés qu’on lui connait. Ce n’est pas à conseiller qu’aux fans de Morrison, c’est un indispensable pour les jeunes lecteurs et une vraie friandise pour tous les passionnés.

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