Invité dans le cadre de la onzième édition du Toulouse Game Show (TGS) le 2 et 3 décembre 2017 sous l’impulsion de l’indéboulonnable Paul Renaud, le légendaire scénariste Mark Waid (Superman, X-Men, Star Wars…) a été l’une des personnalités les plus sollicitées du salon, tant l’homme est une figure dans le monde des comics avec un franc-parler qui ne lui vaut pas toujours que des amis…
Le samedi 2 décembre, l’équipe MDCU a eu la chance de s’entretenir pendant un petit quart d’heure avec un Mark Waid affable, souriant et détendu, au fil d’une interview à la cool et ô combien intéressante…

Après plus de 30 ans à évoluer dans l’univers des comics, quel regard portez-vous aujourd’hui sur cette véritable industrie ?

Eh bien, je dois avouer qu’après toutes ces années à travailler dans le milieu des comics, je suis très satisfait par la manière dont les choses ont évolué dans la mesure où lorsque j’ai commencé, il n’y avait que des mecs blancs et très peu de femmes.
De nos jours, l’univers des comics est plutôt ouvert puisqu’on y retrouve pas mal d’artistes noirs ou bien de plus en plus de femmes. Evidemment, il y a encore du travail à faire, mais c’est un bon début !

Mark Waid - TGS 2017 © MDCU (Crédit : Yann Monesma)

L'affaire [Wenstein] est en train de réveiller les consciences un peu partout et même dans le monde du comics ! Ça a notamment commencé avec Eddie Berganza qui a été renvoyé très récemment par DC, et quelque chose me dit que ça va continuer avec d’autres personnes très bientôt… - Mark Waid

Dans une récente publication sur vos réseaux sociaux, vous vous êtes décrit comme un « scénariste progressif avec une totale liberté d’expression ». A ce titre, vous avez mis en lumière que des jeunes artistes de l’univers des comics étaient souvent harcelés par des fans particulièrement agressifs suite à leurs travaux... Pouvez-vous nous en dire plus sur ce problème ?

C’est en fait un problème assez récurrent depuis quelques temps… La population des Etats-Unis est assez divisée et la colère est grandissante un peu partout dans le pays. Et même si 70% des américains sont plutôt sains d’esprit, 30% ont voté pour Donald Trump, qui est un véritable cinglé !
Au-delà de l’aspect politique des choses, on ressent aussi cette division et cette colère chez certains fans de comics qui sont très agressifs, notamment en ce qui concerne les femmes. Il n’est pas rare qu’elles reçoivent des menaces de mort ou bien qu’elles soient harcelées.
De mon côté, je fais tout mon possible pour essayer d’aider ces femmes, je cherche à leur donner la parole… J’ai bien conscience que je ne peux pas résoudre leurs problèmes, mais je fais tout ce que je peux pour les aider à affronter ce genre de choses.
Cependant, je vous rassure : plus de 90% des fans sont géniaux ! (rires) Le problème c’est les 10% restants…

En tant que scénariste bien établi, avez-vous eu personnellement affaire à ce genre de harcèlement ou votre notoriété vous protège-t-elle de ce genre d’attaques et de menaces ?

Quand j’ai commencé à travailler, il n’y avait pas ce genre de problème… Mais sinon, ça arrive tout le temps que je sois pris à partie par des « haters », mais je dois avouer que ça ne me touche pas du tout ! (rires)
Avec Internet et les réseaux sociaux, je reçois tous les jours pas mal de commentaires insultants voire carrément haineux… et la seule chose que je peux faire, c’est de faire en sorte d’ignorer tout ça ! En effet, si on commence à répondre aux commentaires haineux, on ne s’en sort plus... Et puis, on ne peut pas écraser tous les cafards, il y en a trop ! (rires)

Vous êtes très actif dans la lutte contre le harcèlement, notamment sur les réseaux sociaux. Pensez-vous que l’affaire Harvey Wenstein est une première étape vers une prise de conscience collective sur ce fléau ?

Oui, je pense vraiment que cette affaire est en train de réveiller les consciences un peu partout et même dans le monde du comics ! Ça a notamment commencé avec Eddie Berganza qui a été renvoyé très récemment par DC, et quelque chose me dit que ça va continuer avec d’autres personnes très bientôt… Quand les langues se délient, des têtes tombent.
Quant à moi, j’ai la conscience tranquille. De plus, j’ai discuté avec toutes les femmes avec qui j’ai collaboré ou avec qui je collabore actuellement pour être certain qu’il n’y a pas de problème.

Mark Waid - TGS 2017 © MDCU (Crédit : Yann Monesma)

Ça arrive tout le temps que je sois pris à partis par des « haters », mais je dois avouer que ça ne me touche pas du tout ! (rires) - Mark Waid

Les comics ont toujours été une photographie de la société Américaine à un instant T. En tant que scénariste, comment vous y prenez-vous pour retranscrire dans vos histoires des sujets importants comme la présidence de Donald Trump, le féminisme, le racisme etc. ?

Quand je travaille sur un personnage qui appartient de gros éditeurs comme Marvel ou DC, il est très difficile pour moi de leur faire dire ce que je veux, car ces personnages ne m’appartiennent pas. Les choses sont souvent différentes quand je bosse pour des éditeurs indépendants ou plus souples. Cependant, quand j’écris des scripts pour Captain America, je ne peux pas occulter l’actualité du moment aux Etats-Unis. J’utilise donc des allégories. Ainsi, quand je veux parler de la montée de l’extrême droite américaine, je le fais de manière indirecte via Les Fils du Serpent, qui est une organisation d’extrême droite dans Captain America...

Vous avez repris Captain America après le run « Secret Empire » de Nick Spencer. Est-ce que Chris Samnee et vous-même aviez déjà des idées sur comment rendre Steve Rogers « great again » ou est-ce qu’il a fallu énormément (re)travailler le personnage ?

« Make Steve Rogers great again », c’est bien trouvé ! (rires) En fait, ce n’était pas très dur de reprendre la suite du run de Nick Spencer car « Secret Empire » était une histoire qui a duré pas mal de temps. Les fans étaient donc prêts à découvrir Steve Rogers dans de nouvelles aventures.
A partir de là, je n’ai pas cherché à écrire une histoire dans laquelle Captain America se désole pendant des épisodes entiers sur ce qu’il a fait et sur ce qu’il a été. Chris et moi, on a décidé de partir à zéro et de raconter quelque chose de nouveau…

En avril dernier, les illustrations d’Ardian Syaf sur le premier numéro d’X-Men Gold chez Marvel ont fait grand bruit (il avait inséré en douce dans ses dessins des messages à caractères haineux). Quel a été l’impact de cette controverse dans le monde des comics ? Est-ce que les éditeurs sont plus regardants sur le travail des artistes ?

Ah oui, je m’en souviens ! Mais au final, cette controverse n’a pas été tellement importante dans l’industrie du comics car chacun sait qu’il ne faut pas faire ce genre de chose. Chacun a le droit d’avoir ses propres opinions bien évidemment, mais c’est inacceptable d’essayer de les faire passer en douce dans des comics, qui plus est quand ce sont des messages d’appel à la haine. C’est une règle de base…
De plus, quand on veut faire passer une idée qui nous semble très importante, il est toujours possible d’en parler à l’éditeur pour faire valoir son point de vue.

Du coup, est ce que les éditeurs sont maintenant plus regardants sur les productions des artistes aussi bien dans les textes que les illustrations ?

Non pas tellement… Car quand on travaille avec des éditeurs depuis quelques temps, il y a toujours une relation de confiance qui se créé. De plus, comme je l’ai dit, le fait de faire passer des messages en douce va à l’encontre du professionnalisme que doit avoir un artiste. Ardian a toujours été plus ou moins à la marge... et là, il a franchi la ligne.

Mark Waid - TGS 2017 © MDCU (Crédit : Yann Monesma)

Bendis n’a jamais travaillé sur des gros personnages comme Superman ou Batman . Je pense donc qu’il va remédier à ça d’ici peu et apporter de la nouveauté (...) même si je suis un peu nerveux à l’idée qu’il travaille sur ces personnages-là... - Mark Waid

Récemment, Brian Michael Bendis a annoncé son départ de Marvel après plus de 20 ans de bons et loyaux services pour DC en tant que scénariste exclusif. Selon vous, que peut-il apporter à DC ?

Oui, j’ai entendu parler de son départ ! (rires) Brian Bendis n’a jamais travaillé sur des gros personnages comme Superman ou Batman. Je pense donc qu’il va remédier à ça d’ici peu et apporter de la nouveauté. Je suis sûr qu’il va faire de très bonnes choses, même si je suis un peu nerveux à l’idée qu’il travaille sur ces personnages-là, car nous sommes aux antipodes l’un de l’autre dans nos façons de voir les choses ! (rires)
En tout cas, ça va être très intéressant de voir ce qu’il va faire chez DC… En plus, ça fait plus de boulot chez Marvel pour les autres ! (rires)

Après toutes ces années à évoluer dans l’univers des comics, n’avez-vous jamais eu envie d’écrire des romans ou d’écrire des scripts pour la TV, le cinéma…?

J’ai déjà travaillé ici et là pour la TV et le cinéma mais ce n’est pas aussi amusant que d’écrire des comics, car il y a tellement d’argent en jeu que chaque idée d’un scénariste doit être validée par toute une horde de personnes qui vont donner leur envie, chercher à retravailler le truc et en fin de compte, ça brime la créativité…
A l’inverse, quand j’écris pour des comics, mes scripts ne sont pas retouchés et ce que le lecteur lit, c’est réellement ce que j’ai écrit quelques semaines avant !

Quels sont vos projets pour 2018 ?

Alors, il y a deux projets Marvel que je vais faire, mais je ne peux pas en parler, c’est trop tôt ! Tout ce que je peux dire c’est que ce sera basé sur des personnages pour lesquels il y a eu des films… et pour lesquels il va y avoir d’autres films ! (rires)
Ensuite, je vais continuer à bosser sur Archie Comics, mais là aussi, je ne peux pas en dire plus…

Un grand merci à Mark Waid pour sa disponibilité ainsi qu'à Nicolas et tout le staff du TGS.