Les X-Men ont pendant des décennies dominé les ventes de comics. Pourtant, il aurait été hasardeux de parier sur leur réussite dans les années 60. Découvrons ensemble les premiers pas des plus célèbres mutants.
Un contexte favorable à l’émergence des mutants
Au l’aube des sixties, les super-héros reviennent à la mode sous l’impulsion de l’éditeur DC. Pour profiter de la manne,
Marvel lance son premier titre super-héroïque : les
Fantastic Four. Le succès étant au rendez-vous,
Stan Lee multiplie les séries :
Spider-Man, Daredevil, Iron-Man, Thor, les Avengers…. La formule est simple est fait presque toujours mouche : au lieu de créer des êtres invincibles, le très prolifique scénariste va décrire des héros souffrant de terribles failles (handicap, santé précaire, aspect physique répugnant, culpabilité…). Le lecteur s’identifiera aussitôt à ces « super-héros à problèmes » et suivra tous les mois non seulement leurs exploits costumés mais aussi leur vie privée digne des meilleurs soap operas. Produits à la chaîne, ces personnages seront pourtant pratiquement tous des succès. Et le vilain petit canard de la bande, l’une des plus mauvaises ventes de l’éditeur n’est autre que le titre
X-Men.
Lassé d'inventer à chaque fois une origine pour expliquer les pouvoirs de chaque héros mais aussi de ses adversaires,
Stan Lee trouve une idée a priori géniale : certains surhommes seraient nés mutants. Nous sommes en 1963, en pleine guerre froide. La planète a frôlé l’apocalypse nucléaire avec le désastreux débarquement de la Baie des Cochons. Dans ce climat de psychose liée à la radioactivité, imaginer des humains mutants développant spontanément des capacités extraordinaires à l’adolescence n’est pas plus absurde que d’acquérir des pouvoirs suite à une exposition à des rayons gamma ou cosmiques. Finis les casse-têtes, Stan peut créer autant de mutants qu’il le souhaite sans explications abracadabrantesques.
Mais voilà, lorsqu’il présente ce nouveau projet à sa direction, le titre
The Mutants est refusé sous prétexte que tout le monde ne savait pas ce que ce mot signifiait. Il proposera donc à la place
The X-Men (le X symbolisant à la fois les capacités Xtraordinaires de ses protagonistes et le nom de leur professeur : Xavier). Aussi absurde que cela puisse paraître, ce deuxième nom est accepté. Replaçons-nous dans le contexte de l’époque : le concept de surhommes n’était pas aussi répandu qu’aujourd’hui, les mutants n’avaient pas conquis leur place dans la culture populaire et l’industrie pornographique à laquelle on associe systématiquement la lettre X était balbutiante.
Stan Lee ou l’art du recyclage
Le concept de départ semble de prime abord assez original pour une série super-héroïque.
Le Professeur Xavier , plus grand télépathe de la Terre, accueille dans son école pour jeunes surdoués les adolescents mutants afin de leur apprendre à maîtriser leurs pouvoirs. Persuadé que l’humanité n’est pas prête à cohabiter avec les « homo superior » (nom scientifique donné aux mutants), il les entraîne à maîtriser leurs pouvoirs et à vivre incognito parmi les humains. Et comme certains de leurs congénères veulent conquérir le monde, Xavier forme également ses élèves à les combattre pour protéger l’humanité. Ce statut de parias incompris se battant pour sauver l’humanité qui les déteste devient le ressort dramatique de la série et reste encore d’actualité un demi-siècle plus tard. D’ailleurs, cette posture de héros victime est devenue tellement caractéristique des
X-Men que l’on oublie parfois qu’elle a d’abord était celui de
Spider-Man, héros craint et haï et sauvant malgré cela ses détracteurs. Car, pour produire des histoires à la chaîne,
Stan Lee n’hésitait jamais à s’auto-plagier.
Mais ses autres travaux n’ont peut-être pas été sa seule source d’inspiration. En effet, trois mois avant la sortie des
X-Men, la Distinguée Concurrence publiait une série avec un groupe de héros considérés comme des monstres, menés par un mentor en fauteuil roulant et protégeant un monde qui les craint et les hait. Si la ressemblance entre les
X-Men et
Doom Patrol (puisque c’est la série
DC dont il s’agit) est saisissante, les délais de fabrication d’un comic book ne permettent pas forcément d’accréditer la thèse du plagiat. Les deux éditeurs ont d’ailleurs joué sur ces similitudes en créant l’équipe
X-Patrol lors du cross-over
Amalgam dans les années 90.
Des débuts peu inspirés
La série débute dans l’école du
Professeur Xavier ou celui-ci convoque ses dociles élèves (
Cyclope, Angel, le Fauve et Iceberg) à un entraînement propice à présenter leurs pouvoirs et leur personnalité. Il leur annonce ensuite l’arrivée d’une nouvelle étudiante,
Strange Girl alias
Jean Grey , qui va rapidement se trouver au centre de l’attention générale. Les piteuses tentatives de séduction seront vite interrompues par Xavier qui décide d’envoyer sur-le-champ les jeunes
X-Men en mission, y compris
Jean Grey qui vient à peine d’arriver. En effet, le
Professeur X leur demande d’arrêter un « vilain mutant » qui tente d’imposer le règne de l’homo superior en attaquant une base militaire. Vous aurez bien évidemment reconnu les débuts de
Magneto, ennemi emblématique de nos mutants favoris. Les deux épisodes suivants semblent être construits sur le même schéma : après l’incontournable séance d’entraînement, nos jeunes apprentis héros partent rencontrer un mutant qui représente une menace ou une recrue potentielle.
L’intérêt de la série grandit avec le 4e épisode dans lequel on retrouve l’infâme
Magneto (sa personnalité était alors bien moins complexe) entouré d’autres mutants qu’il mène d’une main de fer. Ici, le manichéisme laisse place à plus de nuance, les ennemis des
X-Men n’ayant pas tous un mauvais fond. En effet, alors que les cruels
Cerveau et
Crapaud partagent les visées du maître du magnétisme,
la Sorcière Rouge et Vif-argent ne sont aux côtés de
Magneto que parce qu’une dette les y oblige. D’ailleurs, leur bonté les pousse à remettre en cause et à trahir les ordres de leur chef redouté. Toujours dans ce même épisode, on assiste à une confrontation entre
Xavier et
Magneto sur le plan astral qui mettra en exergue les différences philosophiques entre les deux leaders mutants. C’est à partir de cet épisode que
Magneto s’impose comme le principal adversaire de nos étudiants.
Les épisodes suivant s’avèrent répétitifs,
Stan Lee se contentant de trouver à chaque numéro un prétexte pour faire s’affronter les deux équipes rivales. Malgré tout, on observe quelques évolutions: les jeunes
X-Men sont rapidement diplômés et
Xavier confie le commandement à
Cyclope le temps de mener certaines affaires à bien. L’épisode 9 marque un tournant avec l‘arrivée d‘un nouvel adversaire,
Lucifer, mais surtout des Avengers. Avec cette rencontre qui aboutit à un inévitable affrontement entre les deux équipes, les
X-Men entrent de plain-pied dans l’univers partagé
Marvel.
Des oh ! et des bah !
A partir de ce moment, Stan semble retrouver son imagination et multiplie les créations telles que
l’Étranger, la Terre sauvage et son fier seigneur
Ka-Zar... La série prend alors de l’ampleur non seulement parce que la galerie des adversaires s’étoffe mais aussi parce que les sagas se font plus ambitieuses. Ainsi, pour l’arrivée du
Fléau, demi-frère maudit de
Xavier, Stan Lee propose enfin des épisodes à suivre. Cela lui permet de pimenter ses récits d‘une bonne dose de suspense. Le passage à un rythme mensuel (la publication était alors bimestrielle) l’autorise même à se lancer dans une histoire en trois chapitres. Il y introduit une des menaces les plus emblématiques des
X-Men, les
Sentinelles , conçues par le
Dr Bolivar Trask. Bien plus que des robots tueurs de mutants, elles incarnent la peur et la haine de l’humanité pour les mutants. Plus dangereux que les mauvais mutants, ce sont désormais les préjugés des hommes qui s’opposent au rêve de
Xavier d’une cohabitation pacifique entre homo sapiens et superior.
Après l’avoir enfin portée à un niveau qualitatif digne de leurs autres productions, Stan et Jack abandonnent la série.
Roy Thomas, fan enthousiaste de comics qui vient de rejoindre l’écurie Marvel, reprend les rênes en tant que scénariste. S’éloignant du concept de base, il oppose les
X-Men à de nouveaux ennemis dont certains font plus que frôler le ridicule. Assisté de divers dessinateurs peu inspirés, il n’arrive pas à dynamiser les ventes et la majorité de ses épisodes, comme ses créations, ne passera pas à la postérité.
Roy Thomas décide toutefois, avant de quitter la série, de faire passer ses héros à l’âge adulte. Pour cela, il leur fait abandonner leur uniforme pour les doter de costumes personnalisés. Puis, il commet l’impensable en libérant de façon radicale les jeunes mutant de l’ombre tutélaire du
Professeur X. En effet, événement rarissime pour l’époque, le scénariste décide de tuer le fondateur des X-Men des mains du bien nommé
Grotesk.
Une conclusion en apothéose
Pour relancer le titre en chute libre,
Stan Lee fait appel au génial
Jim Steranko (qui ne dessinera que deux épisodes) et au scénariste
Arnold Drake qui enrichit l’équipe de deux membres :
Polaris, la (vraie, puis fausse, puis vraie) fille de
Magneto et
Havoc, le frère de
Cyclope. C’est ensuite la star montante Neal Adams que Marvel appelle pour illustrer les scripts du revenant
Roy Thomas. D’un dynamisme et d’une modernité incomparables, ses somptueux dessins amènent la série à des sommets créatifs. De son côté,
Roy Thomas utilise enfin les meilleurs concepts de l’univers des
X-Men (les
Sentinelles , la Terre Sauvage,
Magneto…). Le duo donne ainsi naissance à une série d’aventures devenues légendaires et dont l‘influence se fera sentir lors du règne
Claremont-Byrne.
Hélas, ce succès artistique arrive trop tard. La série est déjà condamnée. Avant de fermer les rideaux,
Dennis O’Neil, scénariste invité le temps d’un épisode, ramène le
Professeur X en expliquant que sa mort était une supercherie.
Si les aventures de nos héros s’achèvent sur ce retour inattendu, le titre
X-Men ne disparaît pas pour autant. Les numéros suivants contiennent des rééditions des premiers épisodes jusqu’à l’arrivée d’une nouvelle équipe dans
Giant-Size X-Men 1. Mais ceci est une autre histoire. Une histoire classée X pour notre plus grand bonheur.
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