Les comics inadaptables : fatalité ou défi à surmonter ?

Les comics inadaptables : fatalité ou défi à surmonter ?

Les œuvres ‘inadaptables’, on en parle depuis qu’il existe plus d’un médium pour raconter des histoires. Et les comics ne font bien sûr pas exception à cette règle. Avec la popularité des adaptations de comics à son apogée historique, il est temps de regarder un peu tout ça et essayer d’en tirer des leçons. 
Car adapter une histoire, ce n’est pas chose aisée. Adapter, c’est comprendre les codes, le langage de média source et du média cible. Et au-delà, il faut également comprendre l'œuvre que l’on adapte. Et là aussi ce n’est pas toujours aussi simple. 

Ce n’est pas simple au point que certains récits ont acquis une réputation inadaptable, car il serait impossible de retranscrire ce que l'œuvre de base souhaite faire, mais sur un autre support. Mais l’adaptation, de par sa nature, est transformée pour pouvoir assumer une nouvelle forme. Donc tout devrait pouvoir être adapté non ? Et bien, c’est là qu’on entre dans les subtilités qui compliquent tout. Est-ce qu’adapter une œuvre, c’est la dénaturer ? (Vous avez quatre heures) Peut-on rendre Justice à une histoire dans une autre forme que celle que le ou les créateurs ont imaginée ? Je ne suis pas professeur d’art ou de philosophie  mais je connais un peu les comics, donc je vais me concentrer là-dessus, au travers de quatre exemples qui abordent chacun un point intéressant de l'adaptation.

Watchmen : une adaptation visuelle fidèle
au service d’un message infidèle

J’ai découvert le film Watchmen de Zack Snyder avant d’avoir lu le comics d’Alan Moore et de Dave Gibbons. En découvrant le film, je l’ai adoré, mais je dois avouer qu’après avoir lu le comics, le film perd un peu de son éclat. Je l’apprécie toujours, mais il est vrai que le message construit dans les 12 chapitres du comic book est sacrifié dans l’effet ‘cool’ que le Snyder y insuffle (le script y sans doute aussi pour quelque chose, écrit par Alex Tse et David Hayter, la voix originale de Solid Snake de Metal Gear Solid (oui oui c’est bien le cas)). Dans le comics, l’aspect plus sombre et pathétique de la vie de justicier est omniprésent : 

  1. Dan Dreiberg se transforme en Hibou dans un costume pas très flatteur (là aussi à l’opposé du film) pour aller tabasser des criminels. Il ne trouve satisfaction nulle part ailleurs, et la retraite forcée de la loi Keene l’a rendu inerte et perdu.
     
  2. Walter Kovacs a disparu derrière le masque de Rorschach, littéralement et figurativement. C’est un extrémiste qui voit le monde uniquement en noir et blanc, prêt à tout pour punir les criminels, y compris à compromettre la paix mondiale. De plus, il est extrêmement violent, et a des opinions politiques et sociales qu’on peut qualifier de… problématiques. Loin d’être cool du tout, plein de personnes y voit un exemple à suivre au même titre que le Punisher , et le film y est un petit peu pour quelque chose. Car il faut l’avouer, Rorschach est très stylé dans le film, car Snyder filme très bien les scènes d’action et Jackie Earl Haley l’interprète d’une excellente manière, mais il ne faut pas oublier qu’il n’est pas un héros. Au mieux c’est un anti-héros ou un justicier.
     
  3. Edward Blake est un individu violent et sexiste. C’est pratiquement un criminel qui s’est bien sorti car il a fini par travailler pour le gouvernement. Mais il relève plus d’un mercenaire impitoyable que d’un héros. L'enquête du passé du Comédien durant toute l’histoire montre à quel point Blake est un individu imprévisible et chaotique, utilisant le masque du de l'héroïsme pour assouvir ses désirs de violence.

Les autres personnages ont aussi leurs propres défauts, mais tout préciser me prendrait trop de temps et tout le monde serait déprimé. Malgré tous ces éléments appuyant la dangerosité d’avoir des héros dans un monde ressemblant au nôtre, le film glorifie les scènes des combats, met en scène les héros de manière très stylisée et tout le monde est beau et musclé. On a donc parfois des messages assez conflictuels entre le propos de l'histoire et sa présentation.
Et c’est d’ailleurs dommage puisque le long-métrage a quelques bonnes idées. Les tétons sur le costume d’Ozymandias, parodiant les films Batman de Schumacher, montrent à quel point il est ridicule de s’habiller de la sorte, s’alignant thématiquement sur ce point avec les comics.

Bon, le film n’a pas réussi à adapter cet aspect là de l’histoire, mais il réussit sur d’autres points. Visuellement, le film est très beau. On peut ne pas aimer, mais le travail sur la composition des plans est clairement présent, et les cases du comics sont très bien retravaillées et mises en scène par Sndyer et Larry Fong (le directeur de la photographie). A titre personnel, je trouve que c’est le meilleur travail visuel de la filmographie de Zack Snyder.

Watchmen le film, réussit à transmettre l’aspect visuel de Watchmen, le comic book. Et même si l’histoire est plus ou moins la même (ne parlons pas de la fin sinon l’article ne finira jamais), les intentions des créateurs de l'œuvre originale n’ont pas été retranscrites dans l’adaptation.
Est-ce que la fidélité visuelle ET la présence du créateur original est la bonne solution ? On aborde ça tout de suite, avec Sin City ! 

Sin City : adaptation ou imitation ?

Grosse différence avec Watchmen : Frank Miller est impliqué dans l’adaptation là où Alan Moore maudit toute personne sur 4 générations rien que pour avoir évoqué une des adaptations de son travail. Mais est-ce que la présence de Miller garantit une adaptation fidèle ou une bonne adaptation ? Est-ce que ces deux notions doivent être les mêmes ou au contraire, doivent-elles être différentes ?

On va essayer de démêler un peu tout ça. Pour éviter de perdre du temps, oui Sin City le film est une adaptation fidèle de Sin City le comics. On retrouve la même histoire, et surtout on retrouve la même identité visuelle. Le film est un unique en son genre, la manière dont il utilise le contraste de noir et de blanc et avec quelques apports de couleurs. Le langage visuel du film est clairement pensé pour raconter quelque chose. Du point de vue de la mise en scène, le long-métrage est délibéré et chaque image du film est pensée en amont et ça se voit.

Le problème, ce que pour moi, c’est à double tranchant. Le long métrage est constamment intéressant artistiquement parlant, mais l’aspect technique ne suit pas toujours. Si certaines scènes du film fonctionnent extrêmement bien car le décor met en valeur le reste de la scène ou car la caméra est suffisamment rapprochée des acteurs pour n’avoir quasiment qu’eux dans le cadre, le reste du film à un goût de faux, de vidéos FMV de la fin des années 90. Peut-être suis-je trop pointilleux mais j’ai rarement l’impression que les acteurs sont devant autre chose qu’un fond vert. La différence de rendu visuel entre les acteurs et le décor casse systématiquement mon immersion.

Le film reproduit “trop” bien les visuels du comics, et l’aspect réel, donc les acteurs, se retrouvent au premier plan de l’image sans jamais en faire partie, à quelques exceptions près. Je ne mets pas en doute le talent de quiconque impliqué dans le projet, car je sais que cet aspect est une intention artistique. Le caractère unique de Sin City en fait un objet filmique fascinant et intéressant, et mes appréhensions vis-à-vis de son style est purement une opinion que vous êtes libres de partager ou non.
De ce point de vue, je dirais que Sin City le film est davantage une retranscription qu’une adaptation. Car tellement peu de choses ont changé qu'adapter ne saurait décrire avec suffisamment de justesse le processus créatif derrière le film. Comme quoi trop adapter peut ne pas servir l’adaptation.

Saga : adaptation ? C’est quoi ça, ça se mange ?

Au-delà de mon petit trait d’humour, le temps de l’adaptation n’est pas encore arrivé pour Saga. Pas viable en série TV ni en film ? Certes, une série télévisée Saga, même pour Disney ou HBO, c’est un peu trop demander. Condenser un univers aussi riche revient à saboter la F1 avant la course (c’est valide comme expression ça ?). Plus sérieusement, la position de Brian K. Vaughan est celle d’une personne emplie de sagesse : avant de penser à une adaptation, se concentrer sur finir l’histoire est plus important. En tant que fan de l’univers du Trône de Fer, je ne peux que pleurer dans mon coin à l’idée qu’un certain auteur devrait être un peu plus comme lui. 

Il y a 6 ans maintenant, Brian K. Vaughan faisait le tour des interviews pour la série Runaways, adaptée de son comics éponyme. Il y explique que l’univers de Saga est celui d’un comic-book avant et qu’il faudrait attendre 15 ans avant de pouvoir voir une adaptation viable de Saga. L’univers imaginé par Fiona Staples, l’illustratrice, et Vaughan est en effet, de l’aveu même de ce dernier, trop abondant pour être bien représenté par un blockbuster hollywoodien, mais trop ambitieux visuellement pour être bien exploité que par la télévision. 

La leçon à retenir de tout ça ? Une adaptation c’est bien, mais les comics, ça existe et c’est pas très compliqué à lire. La finalité d’une œuvre ne devrait pas d’être portée vers un autre médium considéré comme plus noble. L’adaptation est donc un bonus, pas une fin en soi.
Les comics ont largement prouvé que c’est une forme d’art à part entière, n’en déplaise au détracteurs habituels, qui d’ailleurs parleront de roman graphique pour qualifier des comics qu’ils ont aimé mais sans s’abaisser à dire qu’ils ont apprécié un “comic book”. Sandman de Neil Gaiman était techniquement une série continue comme Batman et Superman l’était à l’époque, et non pas une série limitée, et est qualifié tout de même de roman graphique. Bref, n’ayez pas honte de dire que vous aimez les comics.

Invincible : l’animation, la voie du compromis ?

En abordant Saga, il est clair qu’une adaptation cinématographique ou télévisuelle est beaucoup plus ancrée dans l’époque où elle sort. La nature d’un comics fait que les seules limites sont celles de l’imagination des créateurs, et peut donc rester avant-gardiste pendant des années voire des décennies. Les travaux de Moebius ou de Kirby par exemple, sont toujours aussi impressionnants aujourd’hui. 
Si seulement il était possible d’être moins limité technologiquement parlant, tout en pouvant respecter la direction artistique d’une œuvre ? Comme si on pouvait faire bouger des dessins, les animer en reprenant les caractéristiques des travaux des dessinateurs.

Fini le sarcasme, je parle évidemment de l’animation, qui représente pour moi une option souvent sous-estimée qui peut aller là où les prises de vue réelles ne peuvent pas. Quel meilleur exemple que la série Invincible pour démontrer l’opportunité et le potentiel de ce support. Pour ceux qui ont lu le comics Invincible, on est d’accord que faire une série TV serait, comme pour Saga, bien trop ambitieux.
La première saison reste relativement timide dans sa richesse d’univers, mais l’entièreté du monde d’Invincible ne peut pas être réalisée en prise de vue réelle pour les services de streaming. Un film est bel et bien prévu chez Universal, mais au vu de la quantité d’histoires à adapter, je ne sais pas trop pourquoi le faire ou comment cela serait possible sans faire des choix drastiques d’adaptation, qui pourraient selon moi nuire au résultat final.

Avec l'animation, pas de problèmes d’acteurs qui vieillissent trop pour jouer un jeune adulte, pas de scènes d’actions limitées par la physicalité des interprètes, il suffit que la voix passe bien et c’est parti. On peut créer des scènes de batailles dantesques, et aller sur Mars, à moindre coût (tout est relatif hein, l’animation c’est pas gratuit non plus) par rapport à des tournages en studios ou en décor naturel plus onéreux.

Avec une seule saison pour le moment, Invincible a repris avec un quasi sans faute, l’essence du comic, et a même su retravailler certains éléments pour les améliorer. J’ai quelques problèmes mineurs avec la série mais rien que je peux attribuer au fait que la série soit animée. Je pense sincèrement que le travail de Kirkman, Ottley et Walker ne pouvait être mieux adapté qu’avec l’animation, et je suis impatient de voir la prochaine saison.
Et j’espère aussi que cela permettra à plus d’adaptations plus mainstream, notamment chez DC qui produisent de très bonnes choses, mais souvent avec peu de moyens pour en faire une sortie majeure comme les films Spider-Verse (qui sont d’ailleurs l’exception à la domination de DC sur Marvel dans l’animation).

Adapter peut améliorer

Il peut arriver également que des adaptations dépassent le matériau de base, comme avec The Boys. Je n’ai jamais vraiment réussi à finir le comics, trop trash pour moi (et j’ai une tolérance assez élevée pourtant), et n’arrivant pas à m’attacher aux personnages. Quand tout est aussi nihiliste et chaotique, difficile d’avoir une attache émotionnelle. La série a su trouver un meilleur équilibre, faisant ressortir les moments touchants comme choquants, car ces facettes d’une même série permettent de se contraster l’un l’autre. La lumière ne peut exister sans les ténèbres et inversement.

L’adaptation, c’est quelque chose de controversé. J’ai exprimé quelques opinions dans cet article mais cela n’engage que moi bien sûr. Je serai très intéressé de connaitre vos points de vue sur la question de l’adaptation de comics sur petit ou grand écran, ou même sur les œuvres citées ci dessus. Alors n’hésitez pas à laisser un commentaire !

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