[Dossier] Les comics dans les années 90

[Dossier] Les comics dans les années 90

Les comics ont connu une période prospère durant les années 80, avec de nombreuses œuvres marquantes qui ont redéfini le medium et les grands personnages qui le portent. Chez DC : Crisis on Infinite Earths a donné un gros coup de fouet à l’univers de l’éditeur et à toute l’industrie, suivi par des chefs d’œuvre tels que Batman Year One et The Dark Knight Returns de Frank Miller ou Watchmen d’Alan Moore. Chez Marvel : Toujours Frank Miller et son run sur Daredevil, le gros crossover Secret Wars. Les auteurs étaient enfin reconnus et payés comme il se doit, ce qui a fait que de grands noms sont restés et ont pendu de grandes histoires.

À côté de cela, de jeunes artistes qui montent comme Todd McFarlane (Spider-Man) et Jim Lee (X-Men) montrent qu’il est aussi possible de faire vendre sans être un Miller ou un Moore, ce qui donne des idées à beaucoup de créateurs. Dans le même temps, les Tortues Ninja de Kevin Eastman et Peter Laird, comic book autoédité, est une vraie « success story » et le Batman de Tim Burton montre que les comics peuvent toucher une audience plus « grand public ». On commence alors donc à se dire qu’il y a de l’argent à se faire dans les comics.

De plus, les premiers numéros des grandes séries ou les premières apparitions de super-héros commencent à devenir Collector et à se vendre à des prix exorbitants, le marché du comics se porte donc aussi très bien financièrement parlant. Action Comics #1 se vendra 82 500 dollars au début des années 90.

       

 

Les raisons d’un crash financier

Malgré tous les voyants au vert au début de la décennie, celle-ci va être marquée par un vrai crash financier, justement parce que l’on va essayer de capitaliser un maximum sur ces bons résultats et asphyxier un marché qui ne pourra pas suivre le rythme. Voici quelques raisons qui ont participé à causer ce crash.

Comme on l’a vu avec Action Comics, ce qui est Collector , ce qui est devenu rare et ce qui a pris de l’âge commence à se vendre cher. Les éditeurs vont alors chercher à en tirer profit et à avoir recours à des techniques de marketing plutôt discutables, qui vont finalement avoir l’effet inverse et qu’ils vont finir par payer.

-    Les fameuses « variant covers ». Plusieurs couvertures différentes, par des artistes différents, pour un même numéro. Un procédé très connu aujourd’hui, qui a explosé à l’époque, on pense notamment au X-Men #1 de Chris Claremont et Jim Lee qui a eu de nombreuses variantes à sa sortie, avec notamment une fresque qui en reliait quatre.
-    Les gimmick covers. Des couvertures « gadget » avec différent concepts comme de la 3D, des hologrammes, des couvertures qui brillent ou encore un "bodybag" pour la mort d’un personnage.
-    Les emballages pour conserver les comics en bon état, ce qui pousse à acheter deux numéros pour en lire un et garder l’autre fermé.
-    Les reprises des séries aux numéros #1 pour avoir plus de numéros Collector . Ce qui est devenu une pratique courante aujourd’hui, toujours dans le but de vendre plus, mais aussi dans une optique d’offrir des points d’entrée plus nombreux aux lecteurs, notamment les nouveaux. Ces numéros #1 sont forcément devenus de moins en moins collectors puisqu’il y en avait de plus en plus.
-    Le marketing autour d’histoires immanquables, « qui vont tout changer », à ne surtout pas rater. Ex : La Mort de Superman .

       

Les comics devenant un business lucratif, de nombreux éditeurs sont arrivés sur le marché, ce qui a eu pour conséquence de l’inonder. D’autant plus lorsque ces éditeurs se souciaient peu de la qualité du matériel qu’ils publiaient et pensaient plus à sortir beaucoup de séries différentes pour avoir beaucoup de numéros #1 différents. Les lecteurs n’ont pas pu suivre et se sont désintéressés, alors que les comic shops ont coulé sous une offre grandissante et une demande moindre.

Un exemple de nouvel éditeur marquant de cette période avec Valiant Comics. Sous la compagnie mère Voyager Communications, la 1ère série est lancée en 1991 avec Magnus, Robot Fighter. Il y aura ensuite les séries Solar, Rai, Harbinger et l’univers partagé Valiant jusqu’au crossover Unity. Une certaine modernité dans l’approche du comics de super-héros et un éditeur qui se tient à l’écart de tous les excès artistiques qui ont caractérisé l’époque, comme nous le verrons ensuite. Jim Shooter, qui a été rédacteur-en-chef chez DC et Marvel avant cela, lancera le concept des numéros #0, pour raconter les histoires des personnages. Concept qui participe à inonder encore plus le marché mais qui a survécu et est utilisé aujourd’hui pour tout et n’importe quoi. Valiant et sa compagnie sont rachetés en 1994 par Acclaim Entertainment, qui produit des jeux vidéo, notamment avec les univers de Valiant, mais qui fera faillite en 2004. Valiant Entertainment récupèrera certaines de ses licences en 2005 et lancera un reboot complet en 2012, publié aujourd’hui chez Bliss Comics en France.

       

En plus d’une offre qui sera devenue bien trop conséquente, ce qui va coûter cher à l’industrie du comics est une certaine baisse qualitative. Le but est de sortir le plus de numéros possibles, sans trop faire attention au contenu. Notamment, les artistes qui dominent le marché au début des années 90 sont de vraies superstars : Jim Lee, Todd McFarlane, Rob Liefeld. Ils faisaient vendre rien qu’avec leurs noms et la promotion était grande autour de leurs productions. Les éditeurs ont commencé à les mettre partout et la qualité de leur travail est forcément devenue assez hétérogène. Un titre de Jim Lee n’assurait pas qu’il serait de qualité (voir son X-Men avec Chris Claremont). Ces artistes, très plébiscités, ont aussi pris conscience de leur valeur et ont demandé à être mieux payés. Ces éléments posent les premières pierres de leur émancipation quelques années plus tard.

Un autre fait intéressant à aborder durant cette décennie est ce qui a été nommée La guerre des distributeurs. Le distributeur est celui qui fait le lien entre les éditeurs et les comic shops/librairies spécialisées qui vendent les comics. Au début des années 90, deux majeurs se partagent le marché, Diamond et Capitol City. Marvel va décider de changer et de faire appel aux services d’Heroes World. Ceux-ci ne seront pas à la hauteur et l’expérience sera un échec, ce qui coûtera de l’argent à Marvel. Son retour du côté de Diamond fera émerger ce dernier comme l’unique distributeur en position de monopole sur le marché. Un manque de concurrence qui a forcément fait du mal à l’industrie quand il est plus difficile de négocier les tarifs. Un sujet revenu sur le tapis avec la pandémie du covid-19 et l’arrêt de la distribution, DC Comics a notamment décidé de s’ouvrir à d’autres distributeurs et même finalement de ne plus travailler avec Diamond. Un choix fort et bouleversant, qui pourrait mettre en sérieux danger le distributeur, ainsi que tous les autres éditeurs par la même occasion.

Beaucoup de titres sur le marché et une qualité en baisse = moins de lecteurs motivés à tout suivre et à lire des comics, tout simplement. Les comic shops commencent à fermer. Les tactiques des éditeurs pour vendre plus se retournent contre eux. Les petits disparaissent et les gros comme Marvel et DC se battent pour survivre. Marvel se déclare en faillite en 1996.


Les comics se prennent trop au sérieux et virent à l’excès

L’un des aspects les plus connus et critiqués de cette décennie réside dans les différentes « modes » graphiques qui se sont installées (dont Rob Liefeld sera souvent à l’origine), et les histoires qui les soutenaient. Les années 80 ayant amené du sérieux et du contenu mature dans les comics, avec le début de l’âge moderne, les années 90 vont tenter de capitaliser sur cet aspect et vont en faire beaucoup trop, tomber dans l’excès, au point de frôler le ridicule. Débordement de violences, d’armes à feu, de personnages ultra bad-ass mais souvent très creux.

Pour illustrer cet aspect, rien de mieux que de prendre des exemples concrets.

Niveau physique/apparence

- Les physiques des personnages : L’un des meilleurs exemples de cette mode de l’époque est le Captain America de Rob Liefeld. Des muscles disproportionnés et des corps qui défient les lois de la nature. Les super-héros ont toujours été costaux mais il faut garder un certain réalisme, ce qui n’était clairement plus une préoccupation ici.

- Personnages féminins hyper-sexualisés : Cela découle du premier point, les femmes ont bien morflé aussi. Leur physique a toujours été exagéré et mis en avant dans les comics, voir utiliser comme argument de vente, mais les années 90 semblent vouloir repousser toutes les limites. Poitrines et hanches énormes, position du « S » inhumaine, costumes qui ne couvrent rien, etc. (exemples illustrés : Sue Storm, Wonder Woman, Youngblood).

       

- Les numéros swimsuit special : inspirés par le magazine sports lllustrated, des numéros spéciaux avec les personnages en mode pin-up et en maillots de bain. Chez Marvel et Image notamment.

- Les gros flingues : Pour aller avec les anatomies disproportionnées, il fallait des armes de tailles improbables. En plus de leurs tailles, ils avaient parfois des formes improbables et les héros pouvaient en porter des dizaines sur eux ! (Meilleur exemple : Cable, encore).

- Vestes : Une autre mode exagérée, les vestes à tout va sur les costumes des personnages, qui remplace les capes pour faire plus « moderne ». (ex : Superboy, Wonder Woman, X-Men).

       

- Les pochettes sur les costumes : Encore une mode lancée par Liefeld, tous ses personnages avaient des dizaines de pochettes sur les cuisses, les bras, les épaules, partout ! (À l’instar de la ceinture de Batman mais… partout ailleurs).

- Armures : Les personnages se sont mis à porter des armures tout sauf discrètes, qui n’avaient des fois aucun sens. Quand c’est le cœur du personnage comme Iron Man , d’accord, mais quand c’est une gimmick ajoutée, aïe. (ex : Cap, Batman, Daredevil).

       


Niveau histoires/gimmicks

- Les clones : Spider-Man chez Marvel et la fameuse saga du clone ont lancé une sorte de mode dont on se serait bien passé. On peut citer ensuite Superboy clone de Superman , Cable et Stryfe, ou encore Joseph le clone « obscure » de Magneto .

- Les copies/plagiats : Comme les artistes des grosses maisons DC/Marvel s’émancipent et créent leurs propres histoires ailleurs, on va voir réapparaître des idées et concepts déjà connus. Parfois des références et clins d’œil, à d’autres moments clairement des manques d’inspiration. (ex : Deadlock/Wolverine, Bloodwulf/lobo, monstres à la Hulk ).

- Tout vire à l’extrême : On a voulu surfer sur l’aspect violent et sérieux des années 80 et beaucoup de personnages ont eu droit à des mises à jour très extrêmes. Ex : Guy Gardner devient Warrior , tout rouge avec ses bras comme armes, Ghost Rider imaginé avec plus de feu, de chaines et une moto démoniaque, et Lobo qui est d’abord un personnage très second degré devient plus sérieux et s’affiche comme le visage de ce revirement extrême.

- Les dessins plus importants que le scénario : Défauts ou pas, excès ou non, les dessins et les noms des artistes faisaient vendre malgré tout et c’est même devenu l’argument de vente principal. Les histoires ont commencé à devenir secondaires.

- Les mauvais films de super-héros des années 90 : Quatre Fantastiques, Captain America, Spawn, Judge Dredd , The Shadow, Steel. Cela n’a aucunement participé à redorer le blason des comics et à les rendre moins ridicules aux yeux du grand public.

       


Intéressons-nous maintenant plus en détails aux différents éditeurs, notamment les Big Two, dans leurs choix et directions créatives au sein de cette décennie décriée.

Marvel

Marvel avait pour consigne de vendre un maximum pour faire plaisir aux investisseurs et pour soutenir la bourse. Le but non dissimulé était toujours de faire mieux que l'année précédente. Le problème, c'est que 1990 était une excellente année en termes de ventes. Autre problème : les nouvelles têtes pensantes voient la BD comme les bonbons. Si cela se vend, il faut faire plus de bonbons. Mais bien sûr, pour la BD, il y a tout un travail créatif derrière. Il ne suffit pas d'augmenter la production pour vendre plus. Marvel, à cette période, a toujours privilégié le court terme au long terme (il y a des exemples plus bas), et a énormément joué sur la spéculation, les variant covers et le marketing plutôt que sur leur produit pur et dur et sur le contenu.

Un exemple marquant sur l’opportunisme de l’époque, Marvel a durant un moment augmenté les prix de 33%, ce qui n'a pas fait baisser les ventes. Ils ont donc planifié une autre augmentation.

Les premiers mois de Marvel en bourse, cela a marché très fort. Très, très fort même car il y a eu de la spéculation autour de nombreux films notamment un projet de film Spider-Man . Le problème, c'est que l'argent de la bourse ne tombait pas dans Marvel (qui pourtant était dans le rouge) mais dans les poches des patrons ou des autres entreprises du directeur financier Perelman. Lorsque cela s'est su, en plus du fait de ne pas avoir de film, Marvel s'est pris une grosse claque.

Le pouvoir n'était pas non plus entre les mains des scénaristes mais bien des éditeurs. Si un projet de scénario n'allait pas se vendre selon l'éditeur, le scénariste était remplacé.

En termes de marketing exagéré, deux exemples sont flagrants au sein de la franchise des X-Men. X-Force #1 de Rob Liefield et Fabian Nicieza s'est vendu avec un sac plastique qui contenait une carte à collectionner. Cinq cartes au total et impossible de les acquérir autrement. X-Men #1 de Chris Claremont et Jim Lee : sorti avec une pléthore de couverture variantes. Même si ces titres étaient portés par des stars, ce marketing a sans doute aidé à leurs ventes historiques. X-Men s’est vendu à 8 millions d'exemplaires, un record absolu. Statistiquement parlant, cela sous-entendait que chaque lecteur de comics avait acheté 17 exemplaires, ce qui montrait le ridicule de la situation.

Todd McFarlane : Des tensions au sein de Marvel dès 1989 avec de nombreux traitements de faveur. McFarlane a eu droit à un titre Spider-Man sans se soucier de la continuité. Cela n'a pas plu aux autres scénaristes d'autant plus que McFarlane faisait des déclarations plus que limite, dans le genre « je ne lis jamais, je ne suis pas écrivain ».
Son Spider-Man #1 en 1990 n'a rien de révolutionnaire mais il a explosé les ventes car beaucoup de promotion, sous plastique et une version argentée pour jouer avec la spéculation. À ce sujet, l'éditeur en charge de la couverture a déclaré « il n'y a rien de mal à créer un produit qui correspond à une demande, mais profiter de la faiblesse du consommateur, c'est un peu comme un viol au premier rendez-vous ».

Rob Liefeld : Il est intervenu sur les New Mutants à partir du numéro 87 soit en mars 90. Il est considéré comme l’un des pires travaux en termes de cohérence visuelle. Chaque numéro est plus grotesque que le précédent avec toujours plus de muscles, toujours plus d'armes. De gros problèmes au niveau des décors. On peut avoir une vue d'extérieur d'un bâtiment avec des fenêtres rondes et une vue d'intérieur du même bâtiment la case d'après avec des fenêtres carrées. Mais le nombre de lecteurs a continué d'augmenter. C'est notamment suite à New Mutants que certains auteurs ont tiré la sonnette d'alarme en pensant au long terme. Mais Marvel, à cette époque, y portait peu d’intérêt du moment que le titre rapportait de l'argent.

Chris Claremont : Le cas le plus flagrant des problèmes court terme/long terme. Claremont a dû se battre avec les scénaristes des autres titres X-Men. Le scénariste, de l'ancienne école, avait planifié pas mal de choses, avait en tête d'utiliser pas mal de personnages, ce qui bloquait les autres scénaristes qui suivaient la politique du court terme et du tout, tout de suite. Ces derniers voulaient notamment faire mourir trop de personnages importants selon Claremont ou encore faire revenir le Professeur X , ce qui ne l’arrangeait pas du tout. Finalement, Claremont est parti. Pour l'anecdote, s'il avait tenu quelques mois de plus, il n'aurait plus eu de problème d'ordre créatif car presque tous les scénaristes des autres titres X-Men étaient partis.

        

Quelques grosses réussites de Marvel durant cette période :

La Gant de L’infini (1991). Jim Starlin, Georges Perez. L’une des sagas les plus influentes de l’histoire des comics. Thanos réunit les pierres d’infinité et le gant de l’infini et fait disparaitre la moitié de la population de l’univers. Saga qui a inspiré le MCU et notamment Avengers 3 et 4.

Age of Apocalypse (1995). Legion remonte dans le temps pour tuer Magneto mais tue son père, le Professeur X . Ce qui créer une réalité alternative où Apocalypse attaque 10 ans plus tôt et prend le contrôle de la Terre. Histoire à grande échelle, qui a des conséquences et qui sera souvent revisitée.

Daredevil : The Man Without Fear (1993). Après son run mythique, Frank Miller revient sur Daredevil pour conter ses origines dans une mini-série en 5 numéros. Un Batman Year One chez Marvel. Histoire marquante qui en inspirera beaucoup d’autres, dont la série de Netflix.

Marvels (1994) de Kurt Busiek et Alex Ross. On se doit de citer cette œuvre qui a été largement récompensée et a véritablement lancé les carrières de ses auteurs. L’univers de super-héros Marvel au fil des années vu par un individu « normal ».

       


À contrario, les grands ratés de Marvel, ou les œuvres qui représentent parfaitement les défauts des années 90 :

La saga du clone (1994-96). À l’instar de ce que faisait DC, Marvel a voulu remplacer Peter Parker par un clone des années 70, Ben Reilly. L’histoire est prometteuse mais devient trop complexe, avec trop de personnages et d’intrigues, et tire en longueur pour des raisons commerciales. Exemple parfait de tout ce qui n’allait pas dans les années 90.

The Punisher : Purgatory (1998). Le Punisher se suicide et est ressuscité par des anges qui le transforment en un être surnaturel et le renvoient sur Terre tuer les démons avec ses flingues sacrés. On a besoin d’en dire plus ?

La saga Onslaught (1996). Crossover de 58 numéros sur un an. L’esprit de Charles Xavier fusionne avec la part diabolique de celui de Magneto lorsqu’il le lobotomise, créant l’entité psychique Onslaught, dont le but est de relier toutes les psychés humaines pour créer une conscience collective. Il bat les X-Men et affronte ensuite tous les héros Marvel. Une histoire réalisée dans le seul but de relancer les ventes et l’intérêt des lecteurs, qui s’avère terne et très inégale, notamment au niveau des dessins.

           


Image Comics

Chez les deux gros éditeurs Marvel et DC Comics, les personnages et toutes les créations n’appartiennent pas aux auteurs. De plus, ils sont liés par des contraintes, les choix et validation des éditeurs, et le respect de la continuité entre les séries et les univers. Dans cet esprit, des dessinateurs devenus célèbres au début des années 90 décident de s’émanciper et de créer une plateforme sur laquelle ils seront libres et où leurs créations leur appartiennent.

Naissance d’Image Comics en 1992, par 7 artistes, avec 6 labels :

-    Todd McFarlane Productions, Todd McFarlane (Spawn)
-    WildStorm Productions, Jim Lee (WildC.A.T.s.)
-    Highbrow Entertainment, Erik Larsen (Savage Dragon)
-    Extreme Studios, Rob Liefeld (Youngblood)
-    Shadowline, Jim Valentino (Shadowhawk)
-    Top Cow Productions, Marc Silvestri (Cyberforce)

Whilce Portacio est aussi dans les artistes impliqués mais a dû s’occuper de soucis personnels, et est arrivé plus tard avec sa série Wetworks.

C’est un énorme succès avec des chiffres de vente que l’on n’avait pas vu depuis les années 70, surtout pour les 4 premières séries citées.

       

Depuis certains des artistes ont quitté le navire (Jim Lee, Rob Liefeld) mais Image s’est diversifié et imposé comme le solide numéro 3 des éditeurs américains, et une vraie alternative à Marvel et DC. Image propose une liberté qui séduit les auteurs et accueille régulièrement des séries des grands auteurs de Marvel et DC, car aucune clause d’exclusivité. Certains artistes comme Robert Kirkman ont choisi à l’inverse d’être fidèle à Image (création de son label Skybound).

Grosses séries créées chez Image : The Walking Dead, Invincible, Saga, Monstress, Chew, Descender, Deadly Class et bien plus encore.

 

DC Comics

DC n’a pas été en reste en ce qui concerne l’abus de numéros collectors, couvertures variantes, polybags et compagnie, et a pleinement pris part à cette folie qui s’est emparée du marché du comics. Les années 90 sont surtout connues chez DC pour ses grandes sagas et crossovers, qui se sont étalés sur beaucoup de numéros et séries différentes, et avec de grandes et graves conséquences qui ont beaucoup chamboulé le statu quo. Et même si ces sagas sont souvent tombées dans les excès marketing de l’époque, et que toutes ne sont pas mémorables, on retiendra tout de même que DC a réussi à conserver une certaine qualité dans la création de ces histoires et que les idées étaient souvent très bonnes. C’est ce qui fait qu’elles sont encore aujourd’hui marquantes et souvent rééditées et relues.

Parmi ces grandes sagas, il y a notamment une ligne directrice majeure qui est l’envie de DC d’injecter du sang neuf et de remplacer, même si temporairement, la plupart de ses grands super-héros. La notion d’héritage a toujours été un aspect important dans l’univers DC.

La mort de Superman (1992-93) : Superman remplacé un temps par les quatre Supermen Steel , Superboy, Cyborg Superman et l’Eradicator. Idée lancée un peu « par hasard » puisque l’éditeur voulait marier le couple Clark Kent /Lois Lane mais ne pouvait pas tout de suite à cause de la série TV Lois & Clark. Au-delà de sa mort, l’idée est de montrer l’importance de Superman et à quoi ressemblerait un monde sans lui. Tout n’est pas parfait, c’est un peu long, mais ça se tient très bien sur l’ensemble et il y a de vraies bonnes idées bien exécutées. Une histoire réfléchie et profonde, avec une vraie volonté de bien faire les choses, qui contraste avec l’opportunisme de l’époque.

On notera la vente du numéro de la mort de Superman dans un sac noir, style bodybag.

Batman Knightfall (1993-94) : Bruce Wayne défait par Bane , Jean-Paul Valley prend sa place. De même que la mort de Superman , grande saga en plusieurs actes jusqu’au retour de Bruce Wayne en Batman . Mais sans doute un peu trop longue et moins bien maitrisée sur l’ensemble.

Wonder Woman (1995) : Le rôle lui est retiré lorsqu’elle perd un nouveau tournoi sur Themyscira et elle est remplacée un temps par Artemis.

Green Lantern Emerald Twilight (1994) : Hal Jordan détruit le corps des Green Lantern et le débutant Kyle Rayner se retrouve nouveau, et dernier, membre du corps.

Pour ce qui est des remplacements des héros de l’âge d’argent on peut aussi bien sûr citer Wally West qui remplace Barry Allen dans le rôle de Flash, et Connor Hawke qui remplace Oliver Queen en Green Arrow .

       


Dans les autres réussites de DC, on peut citer :

Batman No Man’s Land (1999), autre grosse saga pour Batman dans une Gotham City détruite et divisée en gangs, qui sans être exceptionnelle aura su se tenir et conserver une qualité homogène sur une année entière.

La JLA de Grant Morrison (1997), qui réunissait les sept plus grands héros de l’univers DC (Superman, Batman, Wonder Woman, Aquaman, Green Lantern, The Flash and Martian Manhunter ), après des années où l’équipe était composée de personnages plus secondaires. Morrison va faire ressortir le meilleur de chaque personnage et leur redonner une aura, notamment Aquaman .

La série Flash (1992-97) écrite par Mark Waid. Pas facile de prendre le relais de Barry Allen (mort durant Crisis on Infinite Earths) et d’imposer son neveu, Wally West, comme le nouveau Flash à part entière. C’est ce qu’a réussi à faire Waid en lui donnant ses origines et sa galerie de vilains notamment. Moins célèbre que le run de Geoff Johns un peu plus tard, c’est celui qui a imposé Wally comme le Flash des années 90.

On peut aussi citer les Graphic Novels Kingdom Come (Mark Waid/Alex Ross) et Batman: The Long Halloween (Jeph Loeb /Tim Sale) sortis en 1996.

       


Mais il y a aussi eu de jolis ratés dans ses grandes sagas, et des idées et concepts plus que discutables et totalement… nineties.

Zero Hour : Crisis in Time (1994). Présentée comme la suite de Crisis on Infinite Earths, censée expliquer/corriger les quelques incohérences créées par la première crise, mais qui finit par rendre les choses encore plus confuses. Idée originale de Dan Jurgens qui proposera aux scénaristes de changer ce qu’ils veulent dans le passé de leurs héros pour leur faciliter la vie. Résultat, ça n’ira pas de main morte pour certains problèmes comme les équipes JSA et Legion qui seront tout simplement décimées.

De plus, Hal Jordan dans son nouveau rôle de heel est le méchant principal de l’histoire, ce qui n’a pas plus aux lecteurs qui avaient déjà du mal avec Emerald Twilight. Son but était de faire un reboot de l’univers pour régler tous les sujets (en gros ramener Coast City).

Après l’event, une série de numéros zéro ont été lancés pour chaque nouvelle série.


Superman Blue/Red (1998). Superman abandonne son costume Classique contre un nouveau qui contient son énergie et devient une sorte d’être fait d’électricité. Ses nouveaux pouvoirs lui permettent de sentir l’électricité et les radiations, et de devenir mortel en tant que Clark Kent . Il sera même séparé en deux entités, bleue et rouge, avec des personnalités différentes. Vous avez dit What the fuck ?


War Of The Gods (1991). George Perez revient dans l’univers de Wonder Woman après son formidable run qui a redéfinit le personnage. Un crossover qui voit s’affronter les différents panthéons de dieux de l’univers DC. Une histoire complexe avec beaucoup de personnages peu connus et sans conséquences réelles qui n’intéressera pas les lecteurs.

Armageddon 2001 (1991). Dennis O’Neil, Archie Goodwin et Dan Jurgens. Gros crossover qui dura 6 mois. Un futur dystopique où un héros a trahit les siens et est devenu le tyrant Monarch. L’identité du héros (Captain Atom ) va fuiter avant la révélation dans le comics, DC change alors la fin et met Hawk à la place, ce qui n’aura absolument aucun sens et va faire monter la colère des lecteurs.

           


Pour couronner le tout et lier Marvel et DC, on ne peut pas oublier le plus grand crossover de tous les temps… ou presque, à savoir Marvel vs DC (1996) ! Scénario signé Ron Marz et Peter David. Certains héros de l’univers Marvel se retrouvent téléportés dans l’univers de DC et inversement, ce qui débouche sur des combats individuels entre les héros pour décider du sort du monde. À l’époque, les lecteurs ont pu voter pour les résultats des combats.

Durant ce crossover, les deux univers fusionnent et forment le Amalgam Universe. Les personnages DC et Marvel fusionnent entre eux pour créer des amalgames (Captain America + Superman = Super Soldier, Batman + Wolverine = Darkclaw, Spider-Man + Superboy = Spider-Boy, etc). 12 numéros consacrés à ces personnages verront le jour.

   


Vertigo

On ne peut pas parler des années 90 sans citer Vertigo. Le label de DC Comics ne représente pas la mouvance de l’époque et en est même à l’opposée, ce qui fait qu’on ne s’y attarde pas forcément. Malgré tout, il s’agit du label créé en 1993 par Karen Berger dont l’objectif de publier des séries pour un public plus adulte/mature, qui s‘éloigne de l’univers des super-héros DC et sur lequel le comics code ne s’applique pas. Berger fera notamment appel à de nombreux auteurs prometteurs venus du Royaume-Uni, dans ce qui sera nommée l’invasion britannique. On pense à Jamie Delano, Neil Gaiman, Peter Milligan, Grant Morrison et un peu plus tard Warren Ellis et Garth Ennis.

Ces auteurs vont signer des séries assez révolutionnaires, qui vont marquer l’histoire du medium et qui sont encore aujourd’hui des références absolues : Sandman, Hellblazer, Swamp Thing, Shade The Changing Man, Doom Patrol, Animal Man, Transmetropolitan, etc.


Pour terminer et pour le plaisir, citons quelques belles perles indépendantes à avoir vu le jour durant cette décennie des années 90 et que nous n’avons pas encore citées.

Strangers in Paradise de Terry Moore (1993)
Bone de Jeff Smith (1991)
Hellboy de Mike Mignola (Dark Horse 1993)
Sin City de Frank Miller (1991)
Astro City (1995) par l’équipe de Marvels Busiek/Ross
Next Men (1992) de John Byrne
Madman (1992) de Mike Allred
Stray Bullets (1995) de David Lapham
From Hell (1989-96) d’Alan Moore et Eddie Campbell.
The Maxx (1993) par Sam Keith.

       

 

Partagez cet article !
Ça peut vous intéresser
[Sorties Comics] Vendredi 03 Mai

[Sorties Comics] Vendredi 03 Mai

03 Mai 2024

Qu'avez-vous prévu d'acheter ?

[Sorties Comics] Jeudi 02 Mai

[Sorties Comics] Jeudi 02 Mai

02 Mai 2024

Qu'avez-vous prévu d'acheter ?

[VF] Sélection MDCU de mai 2024

[VF] Sélection MDCU de mai 2024

1er Mai 2024

Nos avis sur les sorties du mois

  • mmat1986
    mmat1986

    il y a 4 ans

    Aaah les années 90, je me sens moins touché par cette crise de qualité car à l'époque il m'était pratiquement impossible de me procurer des comics mais heureusement il y avait des série animé DC et Marvel et indé de qualité (Batman, Superman, Spider-man, X-men, tortues ninja qui à l'époque gagna le statut de série animée la plus longue avant d'être fameusement détrônée par les Simpsons!)

    ceci dit super article! (je ne suis juste pas super d'accord pour le fait de citer "judge Dredd en mauvais film, c'est plutôt une mauvaise adaptation qui ne respecte pas beaucoup les personages mais c'est loin d'être un mauvais film. même si je préfère Dredd)

    et Marvel vs DC punaise je sais que ça n'a pas beaucoup d'intérêt pour un éditeur actuellement mais qu'est ce que j'aimerais qu'on sorte un intégrale de cette série, il y avait des fusions géniales genre Darkclaw (Wolverine et batman) Spider-boy, Super Captain (captain américa et Superman) etc ... et mine de rien le coup des frères cosmiques et du héros acces c'était pas mal franchement. et surtout un affrontement pareil on en verra sans doute plus jamais.

  • A Peter
    A Peter

    il y a 4 ans

    Très bon article qui fait ressortir les travers du business durant les années 90. Une mention spéciale pour les exemples de séries représentatives de cette époque, je serais intéressé par une analyse similaire sur les années 2000. Bon travail

  • Steyner
    Steyner

    il y a 4 ans

    J'adore ce genre d'article !

  • Adam
    Adam

    il y a 4 ans

    Merci pour ce dossier instructif . Rob lielfeld prend cher et pourtant les persos qu il a co créé a cette époque sont encore très populaire. Comprenne qui pourra...
    J ai toujours été fasciné par cette décennie quu est au comics ce que les années 70 furent à la mode vestimentaire: un moment un peu honteux qu on préfère oublier surtout pour design des persos  (trop gros)

    Néanmoins tout n est pas à jeter comme les exemples que tu cites. J ai adoré les récits de DC avec les têtes d'affiche qui ont bien souffert au début de la décennie. J etais pas sur les comics a cette époque (trop jeune) mais je me rappelle que la mort de superman avait eu droit a un article dans le journal

  • mmat1986
    mmat1986

    il y a 4 ans

    Pour rebondir sur la question du physique exagéré des personnages et de l'armement, je crois qu'il faille le mettre en paralléle avec les films d'action de l'époque genre Rambo, commando, delta force etc quand on mets en paralléle les héros du cinéma d'action des années 80-90 on a vite compris d'où vient les personnages blindés de gros muscles disproportionnés et des montagnes d'armes en tout genre

    pour les femmes, je pense au fait que la série "Alerte à Malibu" était incontournable à la télé et la majorité des actrice de cette série étaient également des playmate sans oublier que dans les années 80-90, il y avait aussi une sorte de culte autour des top model et pas mal d'érotisation des programmes avec des séries trèèèèès décontractées du slip genre "les dessous de Palm Beach" et des programmations très orientés tirlipimpon genre "hollywood nigth" sur TF1

    • Adam
      Adam

      En réponse à mmat1986

      il y a 4 ans

      A mon souvenir les heros cinema à gros biceps (Stallone, Shwarzy,JCVD) avaient connu leur heures de gloires dans les années 80 puis ont commencé leurs declin dans les années 90. A l'exception de shwarzenneger dont les films à succés mettaient moins en evidences ses muscles (Terminator 2, True lies), Keanue Reeves, Tom Cruise, harrison ford et consort etaient plus maigrelets... Maintenant j'exclue pas que les dessinateurs comics etaient influencés par le cinema de cette periode pour leurs mecs ultra gonflés.

      Quand à baywatch, vous allez me trouver conspirationniste mais je ne serais pas etonné que ce film ait été sponsorisé en secret par le syndicat des poseurs d'implants mammaires
       

      • mmat1986
        mmat1986

        En réponse à Adam

        il y a 4 ans

        Nom le déclin vient plutôt au milieu des années 90 voir seconde moitié(et encore Chuck Norris a guarder une allure très stable) sinon dans la première moitié tu avais même des séries avec Hulk hogan et ce genre de choses...

        pour " Alerte...." le coup des poseurs d'implants pourrait fonctionner mais la seule durant la série à vraiment avoir fait des allés et retours chez le chirurgien c'est pamela Anderson, les autres c'est plutôt après la série et si on va sur ce terrain ce doit être aussi un complôt des fabriquant d'alcool et producteur de drogues car la majorité du casting de cette série a très mal tournée sur ces deux questions

  • shane1609
    shane1609

    il y a 4 ans

    Super intéressant, merci !

  • AfA
    AfA Staff MDCU

    il y a 4 ans

    Bravo pour ce dossier riche et retraçant fidèlement la décennie. J'aimais beaucoup Dark Horse et son label Legend qui regroupait Mignola, Byrne, Miller, Darrow, Gibbons entre autres légendes, justement. Finalement, derrière le naufrage artistique des Big Two se cachait le développement du comics indé et destiné à un public plus mature, mouvement amorcé dans les années 80. Du coup, on a rarement eu autant de séries marquantes que dans cette décennie, paradoxalement. 
     

    • Julien
      Julien - Rédacteur de l'article Staff MDCU

      En réponse à AfA

      il y a 4 ans

      Il y aurait effectivement encore de quoi creuser du côté des indépendants non cités, Dark Horse en est un bon exemple.

  • granddetour
    granddetour

    il y a 4 ans

    Superbe boulot ce dossier, j'aime beaucoup l'analyse rédigée entrecoupée de nombreux extraits de comics ! C'est très méta en fait, une chronique séquentielle portant sur de l'art séquentiel :)