C’est en 2014 que l’éditeur Vertigo repère Marguerite Sauvage et lui demande d’illustrer plusieurs couvertures de la série Hinterkind avant que ce soit la maison mère DC Comics qui jette son dévolue sur l'artiste Française. A partir de là, tout va s’enchainer très vite pour Marguerite, puisqu'on la retrouve sur les couvertures de nombreuses séries de nombreux éditeurs comme Boom! Studios, IDW, Image, Dark Horse, Marvel, Oni Press, Valiant, Dynamite…
A l'occasion du TGS Springbreak, nous avons eu la chance de rencontrer cette artiste qui monte (qui monte) pour faire le point avec elle sur sa carrière dans le p'tit monde du comics…
 

Bonjour Marguerite, s'il y a bien une illustratrice dont on entend beaucoup parler en ce moment, c'est bien vous ! Comment on arrive dans milieu du comics si rapidement ?

C'est une longue histoire… Alors, comment on en arrive là ? Eh bien, il faut beaucoup de volonté… j'ai travaillé en tant qu'illustratrice pendant des années, j'ai fait aussi un peu d'animation et j'ai bossé sur des scénarii (Vic Le Viking et Monsieur Loutre, notamment).
J'ai toujours baigné dans la bande dessinée depuis toute petite, j'ai toujours aimé l'animation Japonaise comme beaucoup de gens de ma génération et c'est à partir de l'animation que je me suis naturellement dirigée vers le design. J'ai toujours été très curieuse de tout ce qui avait un rapport avec l'image, mais je ne me voyais pas faire de la bande dessinée, c'est pour ça que je m'étais dit qu'il était préférable de faire des covers pour le comics. Il y a 10 ans, j'avais envoyé un book à Marvel dans l'espoir de faire connaître mon travail, mais je n'avais pas eu de réponse. Plus tard, c'est Stéphanie Hans et Gérald Parel qui officiaient déjà dans l'univers du comics qui m'ont conseillé de faire des fan-arts et ça n'a pas raté : j'ai été repérée par Vertigo. C'est comme ça que j'ai obtenu mes premiers contrats pour faire des covers dans le monde du comics.
À partir de là, j'ai travaillé sur le Sensation Comics featuring Wonder Woman dans lequel j'ai pu faire quelques pages. Maintenant, le comics prend tout mon temps ! (rires)

Vous avez beaucoup travaillé sur la série Faith chez Valiant. Comment ce projet s'est-il mis en place ?

Alors, la série est maintenant terminée et tous les volumes sont disponibles chez Bliss! en français. Je ne sais pas comment ce projet s'est mis en place car Faith est un personnage qui existait depuis longtemps… Il faut savoir qu'il y a eu dans le passé des épisodes de fantasy avec Faith et quand le projet de faire une série s'est mis en place chez Valiant, l'éditeur a voulu y inclure ces passages oniriques, ce sont les pages que j'illustre dans la série.
Quand on m'a proposé de participer à cette série, j'ai bien entendu accepté car le projet était super intéressant et en plus j'adore la façon d'écrire de Jody Houser. Elle a choisi de mettre en avant une héroïne Plus Size aux antipodes du cliché de l'héroïne musculeuse et ça, c'est quelque chose de génial !

Comment se passe le travail avec l'équipe créative sur Faith dans la mesure où vous êtres aux quatre coins du monde… ?

En fait, c'est l'éditeur qui coordonne tout. À la différence de la bande dessinée franco-belge, dans l'industrie du comics, c'est l'éditeur qui gère tout. Quand on travaille façon creator owned, il est possible de travailler en binôme entre scénariste et dessinateur, mais pour les séries sous licence, il n'y a pas forcément le contact avec le scénariste…

Est-ce que le fait de ne vous cantonner qu'aux séquences oniriques dans Faith , n'était pas devenu un carcan à la longue ?

Non pas vraiment, car en fait c'est moi qui ait la fun part, comme ils disent ! (rires) C'est moi qui ai la partie la plus sympa à faire... Je n'ai bien sûr pas carte blanche car il y a un script à suivre, mais à partir du moment où je respecte le script, je peux laisser libre cours à ma créativité.

Etes-vous amenée à adapter votre style quand vous travaillez sur des covers aux univers différents ? Je pense par à Jem & les Hologrammes ou bien Secret Wars ?

Comme je suis issue de l'illustration, je pense que j'ai une personnalité graphique qui s'apparente à du comics mais qui est aussi assez pop et joyeuse. Mon style est assez accessible… il n'est pas à 100% réaliste, ce qui me permet d'évoluer au travers d'un large panel créatif dans différents univers. Je peux aussi faire des choses sombres comme je peux faire des choses très joyeuses…
Mais en règle générale, je ne m'adapte pas trop aux différents univers car les éditeurs m'appellent pour mon style… il serait donc dommage que je le travestisse ! (rires)

Depuis l'affaire Wenstein et le mouvement #MeToo, le féminisme est devenu un sujet important. En tant qu'artiste, pensez-vous que l'industrie du comics prend la mesure de la place de la femme ?

Personnellement, je trouve que le comics est une industrie extrêmement intéressante. Il y a 10 ans j'étais une parfaite inconnue, et le fait que je commence à percer maintenant n'est peut-être pas si anodin…
C'est une industrie qui essaye de s'ouvrir énormément et qui est pleine de bonne volonté sur pas mal de choses. Par exemple, une série comme Faith est quelque chose de génial, tout comme peut l'être Black Panther - même si on sort du cadre du féminisme dans ce dernier cas. J'ai l'impression qu'on assiste à plus de diversité globale…
De même, les styles graphiques sont en en constante évolution, notamment dans l'animation. Je ne pense pas qu'on aurait vu ça il y a une dizaine d'années. Je trouve que l'industrie du comics est assez volontariste sur certains aspects, alors qu'en France, il y a plus d'hésitation et de maladresse voire de retard dans les mentalités… Ce n'est pas pour rien que les gender studies sont venus des anglophones ! Ils se sont mobilisés sur ce sujet bien avant nous...

Est-ce que vous, en tant que femme, vous sentez que avez un rôle à jouer au travers de vos œuvres pour mettre la femme en avant, pour casser les codes et les clichés etc. ?

Malheureusement, ce serait attribuer aux artistes un pouvoir qu'ils n'ont pas forcément, car au final ce sont les éditeurs qui font tous les choix éditoriaux. Moi, j'ai eu la chance de pouvoir travailler sur des séries très intéressantes comme Faith ou Bombshells qui ont cassé les clichés.
Ceci étant, je fais partie d'associations et je m'engage quand je le peux. De plus, quand on me pose des questions assez sexistes je fais en sorte de toujours y répondre. En tant qu'autrice de bandes dessinées franco-belges, j'avais travaillé sous le pseudonyme de Mady Martin sur des titres féministes avec Véronique Cazot (Betty Boob) chez Casterman. On avait travaillé sur le thème de l'IVG à l'époque où Nicolas Sarkozy fermait les centres…

Quels ont été les retours sur ces séries ?

Très bons ! J'ai reçu quelques lettres de jeunes filles me disant qu'après être tombées enceintes, elles n'avaient pas osé le dire à leurs parents, mais après avoir lu la bande dessinée, elles ont pris rendez-vous au planning familial…

Qu'est-ce qu'on ressent quand on reçoit ce genre de messages ?

Eh bien, on se dit que ce qu'on fait a beaucoup de sens, en fin de compte…

En décembre dernier, dans le cadre du Toulouse Game Show, Mark Waid nous disait que de nombreuses jeunes artistes étaient harcelées par des haters sur des réseaux sociaux. Avez-vous déjà eu affaire avec ce genre de personnes ?

C'est vrai, il y a parfois du harcèlement ! J'en parlais justement hier à Erika Henderson et Stéphanie Hans qui sont aussi invitées sur ce TGS Springbreak…
En ce qui me concerne, j'ai eu la chance d'échapper à ce tout ceci… jusqu'à présent ! Je pense que c'est quelque chose qui est horrible à vivre. C'est très violent. J'espère de ne jamais avoir à faire face ce genre de choses…

Quels sont vos projets dans les mois à venir ? Que peut-on attendre de Marguerite Sauvage en 2018 ?

Il y a des choses qui ne sont pas encore confirmées et non annoncées donc je ne peux pas en parler aujourd'hui… mais ça ne va pas tarder ! (rires) Je viens de finir Bombshells (la série va se terminer bientôt), j'ai fait le dernier chapitre avec une couverture. Je continue à faire des covers pour un peu tout le monde, notamment pour une petite boîte d'édition qui s'appelle Vault. Cette boîte qui a été créée par deux frères ne fait que des trucs de science-fiction… J'espère qu'on va pouvoir bien bosser ensemble !
J'ai aussi travaillé pour le magazine britannique de 2000 AD, ils m'ont demandé de faire le poster intérieur de l'édition spéciale de l'été qui ne regroupera que des autrices. J'ai aussi d'autres projets à droite et à gauche… j'ai travaillé pour Steven Universe chez Boom! et puis j'ai aussi des projets d'écriture de scénario, car ça me manque !

Un grand merci à Marguerite Sauvage pour sa disponibilité ainsi qu'à toute l'équipe du TGS