Un retour entre ombre et lumière
C'est un volume vraiment particulier que vient de sortir le label Comic Fabric de Delcourt. Mikros – Photonik est la concrétisation d'un rêve que les lecteurs des Éditions Lug attendent depuis bientôt 30 ans.
Mikros et
Photonik, respectivement créés par
Jean-Yves Mitton (avec
Marcel Navarro) et
Ciro Tota, furent les premiers « sup'héros » à la française lancés par
Lug, alors éditeur de
Marvel en France. Publiés d'abord dans le magazine
Mustang, ils intégrèrent, à l'arrêt de ce dernier, les pages de revues
Titans et
Spidey aux côtés des séries
Star Wars ou
X-Men. D'une qualité irréprochable, ces deux titres ravirent les lecteurs des années 80 jusqu'au rachat de
Lug par
Semic. Depuis, leurs auteurs se sont consacrés à la production d'albums franco-belges, plus prestigieux et mieux rémunérés, laissant les fans de French comics sur leur faim inassouvie jusqu'à aujourd'hui.
Pour ce grand retour,
Mitton met les petits plats dans les grands : format luxueux (couverture rigide et papier glacé à la
Delcourt
), histoire complète d'une centaine de pages, galerie d'illustrations d'artistes français, dessins du maître (contrairement à
Kaos : Politiquement incorrect qu'il avait seulement scénarisé), première rencontre entre
Mikros et
Photonik, retour de personnages secondaires et d'ennemis bien connus des vieux lecteurs... Bref, tous les ingrédients sont là pour concocter (ou « mittonner », si vous me le permettez) un délicieux plat à la saveur de madeleine. Le mélange a-t-il pour autant pris ?
Dès les premières pages, on constate que, malgré les 30 années passées,
Mitton a su conserver son style graphique propre et efficace et n'a pas traité les sup'héros par-dessus la jambe. Même si beaucoup de cases ne contiennent pas de décors, quand il en dessine, le moins que l'on puisse dire est qu'il s'applique. Deux détails empêchent cependant le vieux lecteur de retrouver parfaitement ce bon goût d'autrefois. Le premier est le format. Avec de grandes marges blanches en haut et en bas de chaque page, puis du texte et des dessins assez denses, on a l'impression que les planches sont écrasées. Le deuxième point concerne la colorisation de Reed Man. Ce n'est pas qu'il fasse du mauvais travail, loin de là, mais pour le public habitué aux anciennes couleurs, la modernité et les effets sur quelques cases peuvent surprendre. Mais cette mise à jour graphique était sans doute nécessaire pour ne pas donner à ce volume un aspect trop daté.
Côté scénario,
Mitton a là aussi décidé de se faire plaisir. Il s'amuse et cela fait plaisir à lire. Mais peut-être est-ce là, l'écueil de l'histoire : l'auteur ne prend plus vraiment au sérieux ces personnages en collants et leurs aventures survitaminées. Il joue avec leur personnalité, multiplie les références, les clins d’œil, les situations cocasses. L'humour est omniprésent... mais nuit singulièrement à la tension. On a le sentiment, agréable, certes, d'assister à une comédie de
Shakespeare comme
Beaucoup de bruit pour rien dans laquelle le spectateur sait d'avance que rien de sérieux n'arrivera aux protagonistes et que toutes les intrigues se concluront dans la joie et la bonne humeur. C'est à un feu d'artifice que nous sommes conviés : un spectacle léger, lumineux, joyeux, coloré mais aussi éphémère et superficiel.
Pourtant, le choix des ennemis était plus que pertinent : l'
ombre, ennemi de
Photonik inventé par
Mitton (dans les rares épisodes que n'a pas réalisés Tota), revient sur Terre se venger. On découvre qu'une autre menace se cache derrière son retour. Et le traitement accordé à ce second adversaire des sup'héros est tout simplement ridicule. Ce personnage, autrefois sombre et charismatique, apparaît ici comme une caricature de vilain aux motivations aussi floues et peu crédibles que l'intrigue. Quant à l'évocation d'Epsilon, le fils de
Saltarella, elle rend difficilement compréhensible le peu de cas qui est fait de son sort.
Tout n'est pourtant pas à jeter, dans ce retour de Mikros et de Photonik, loin s'en faut. Retrouver les héros de notre enfance reste une grande joie pour les nostalgiques, Mitton demeure fidèle à lui-même et à ses personnages et son humour déridera les plus grincheux. Mais tout à la fête, il semble avoir abusé de la boisson avec ses protagonistes et nous a livré une comédie légère en lieu et place d'un récit sup'héroïque digne de ce nom. Mais on lui pardonnera volontiers s'il se décide avant 30 ans de remettre le couvert pour un deuxième tome.
[conclusion=3,5][/conclusion]
[onaime]- Le retour des sup'héros
- L'humour
- Les nombreuses références
- Mitton qui reste fidèle à son œuvre[/onaime][onaimepas]- Le manque de sérieux
- Le traitement de certains personnages
- Réservé aux vieux lecteurs[/onaimepas]
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