Interview de David Lloyd au TGS de Toulouse

Interview de David Lloyd au TGS de Toulouse

C'est en 1982 que l'artiste David Lloyd a mis sur un pied avec le scénariste Alan Moore la série V Pour Vendetta qui a connu un succès encore bien réel pas loin de 40 ans après sa publication. À l'occasion du festival TGS de Toulouse le 27 novembre dernier, on est allé à la rencontre d'un David Lloyd toujours aussi politiquement engagé et ouvertement revendicatif. Avec un bon verre de vin rouge à la main et une bonne dose de flegme so british, l'artiste a fait le point avec nous sur l'aventure V Pour Vendetta et pose un regard sans concession sur le monde d'aujourd'hui...

L'exposition londonienne V for Vendetta : Behind The Mask s'est terminée il y a à peine quelques jours. Elle a eu lieu au Cartoon Museum avec une grande implication de votre part. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette exposition ?

En fait, c'est moi qui ai demandé aux responsables du Cartoon Museum s'il était possible pour eux de reçevoir la collection de V for Vendetta. Nous avions 45 dessins originaux de la série en couleur et en noir et blanc et j'ai pensé que ce serait cool de voir tout ceci exposé dans ce musée londonien. De plus, j'ai permis au Cartoon Museum d'utiliser tous ces dessins à leur guise pour pourvoir les aider à subvenir à leurs besoins. Cette exposition a eu lieu pendant un bon bout de temps et a même été mise en place dans d'autres pays européens avant de revenir en Angleterre.

                                                    

Quel a été le retour des visiteurs ?

Eh bien, je dois avouer que les visiteurs sont venus nonbreux et bon nombre a été ravi de cette exposition ! Ça a été un veritable succès (rires). De plus, ça a permis au Cartoon Museum d'engranger du public. J'adore ce musée. Il propose énormément de choses de qualité sur de nombreux artistes et pas seulement en ce qui concerne les comics. Il faut savoir que ce musée est une véritable institution à Londres et que c'est une organisme de bienfaisance en Angleterre. Il était donc normal pour moi de leur permettre d'utiliser mes oeuvres comme bon leur semblait. Du coup, s'ils ont pu gagner un peu d'argent grâce à cette exposition, ce n'est que justice ! J'espère maintenant que cette exposition pourra aller dans de nouveaux pays et même revenir en France.

Cette exposition a déjà eu lieu en France ?

Oui. Si mes souvenirs sont bons, ces planches ont déjà été exposés à Nantes il y a environ 10 ans (c'était lors de la 12ème édition des Utopiales de Nantes dans le cadre du Festival de la Science Fiction de 2011 – Ndr).

Comment s'est passée votre rencontre avec Alan Moore pour V for Vendetta au début des 80's ?

C'est une très longue histoire, mais je vais être bref… enfin, je vais essayer ! (rires) L'éditeur Dez Skinn qui travaillait pour Marvel Comics dans la branche du Royaume-Uni m'a demandé de plancher sur un nouveau personnage du nom de Night Raven. C'était une sorte de vigilante masqué qui combattait le crime. C'était un concept très classique dans le petit monde des comic books, mais à ma grande surprise la série a connu un succès incroyable et les lecteurs ont adoré le personnage. Pour moi, c'était la première fois que j'avais un retour aussi positif sur mon travail d'artiste ! Quand l'éditeur a ensuite quitté Marvel UK pour créer sa propre revue intitulée Warrior, il s'est souvenu de moi et m'a sollicité pour retravailler sur un tout nouveau personnage. À la base, je devais me charger de l'écriture et des dessins, mais à cette époque j'ai eu la chance de travailler avec un genie appelé Alan Moore sur quelques numéros de Dr Who. De ce fait, j'ai pensé que bosser avec Alan sur ce projet serait plus que pertinent… Du coup, lorsque je lui ai demandé s'il voulait travailler avec moi sur ce nouveau personnage qui n'avait pas encore de nom et qui allait devenir le héros de V Pour Vendetta, il a accepté ma proposition. Voilà, dans les grandes lignes comment j'ai commence à travailler avec Alan Moore ! On a commence à poser des idées, puis petit-à-petit, les choses se sont mises en place pour façonner notre oeuvre…

                                                          

Quel était l'idée initiale derrière le projet V pour Vendetta ?

Le but premier de la série était de combattre la montée en force du parti nationaliste britannique dans la sphere politique anglaise. Nous avions l'opportunité de créer le personnage de V Pour Vendetta et dans la mesure où Warrior ne pouvait pas nous payer de droits sur cette série, nous avions une liberté totale pour faire ce qu'on voulait de ce comic book. C'était quelque chose de très rare à l'époque ! (rires) Et comme Alan et moi-même étions politiquement très engagés avec des points de vues radicaux, nous avons pensé qu'il était necessaire pour nous de mettre en place une histoire de qualité qui tienne bien la route mais avec un message politique fort. Au début des 80's, il y a eu une montée en force de l'extrême droite et du nationalisme britannique partout dans le pays. On s'est donc inspiré de ce contexte politique anxiogène pour mettre en place un personnage qui combattrait un gouverment fasciste dans le Londres du futur. Tout comme l'a fait George Orwell dans 1984, nous avons imaginé la possibilité d'un avenir sombre si l'extrême doite et son populisme crasseux arrivaient au pouvoir. Le but du jeu était d'arriver à faire passer un message sans tomber dans une sorte de diatribe politique qui n'intéresserait personne ! Il s'agissait donc de concocter une série populaire qui plairait au plus grand nombre afin de pouvoir glisser notre message en sous-texte…

Quel a été le retour des lecteurs qui ont découvert cette série à l'époque ?

Il a été très positif car nous visions un public spécifique. En effet, Alan et moi nous savions que peu de gens lisaient des comic books et que tout le monde pensait qu'ils n'étaient faits que pour les enfants. On a donc fait en sorte de travailler sur une narration percutante à la façon d'un show TV avec des planches plutôt simples qui ne partent pas dans tous les sens. On voulait donc faire quelque chose de plutôt sérieux pour faire passer notre message politique. Nous prenions ce sujet très à coeur donc le formalisme de la série s'en ressent, notamment dans l'utilisation des rectangles car c'est via cette forme-là que toutes les informations se transmettent (écran de cinéma, télévision, ordinateur, …)

Mais c'est presque de la propagande, ça ! (rires)

Oui, presque ! (rires) C'est comme ça qu'on a visé un public d'adolescents / jeunes adultes plutôt enclins à s'intéresser à la culture indépendante et aux comics un peu sérieux. En fait, si tu y réfléchis bien, on a fait un peu comme Stan Lee qui a visé un public jeune avec des séries d'aventures comme Fantastic Four ou Spiderman ! (rires) 

                                                             

L'année prochaine, ce sera le quarantième anniversaire de V Pour Vendetta. Selon vous, quelles sont les éléments de cette série qui font qu'elle a toujours une raisonnance si actuelle en 2021 ?

(il réfléchit longuement) C'est une bonne question… Dans un premier temps, je pense que les valeurs de V Pour Vendetta développées à l'époque sont toujours d'actualité. De plus, j'ai l'impression que pas mal de monde s'interroge en ce moment-même sur la montée du totalitarisme et du dévoiement de la démocratie un peu partout dans le monde. En effet, il y a quelques années, on pensait que la démocratie était immuable et personne n'aurait imaginé que des gens de la trempe des Hitler ou des Mussolini puissent reprendre le pouvoir un jour dans un pays dit démocratique car la Seconde Guerre Mondiale a été un veritable électrochoc. Or, depuis quelques temps, on assiste à un retour du totalitarisme au sein même des démocraties. Je pense notamment aux États-Unis. Les États-Unis ! Le pays de la liberté et du courage ("land of the free and the home of the brave" dans l'hymne national américain - ndr) ! Qui aurait pu imaginer un mec comme Trump au pouvoir ? Qui aurait pu imaginer que ce gars-là serait à la tête du pays le plus puissant du monde ? Qui aurait pu imaginer l'attaque du Capitole à Washington du 6 janvier 2021… ? C'était fou, putain ! Complètement fou ! Et personne ne l'a vu venir ! Que ce soit la classe politique, les observateurs, les analystes ou même la population, personne n'aurait pu imaginer un tel bordel il y a encore quelques années… Et puis, il n'y a pas que Trump, c'est aussi le chaos en Biélorussie avec Loukachenko ou dans d'autres pays comme la Pologne… Ça fait peur de voir la démocratie vaciller aussi facilement ! Le parallèle est donc tout trouvé avec V Pour Vendetta dans la mesure où Alan et moi-même mettions en avant la montée et l'explosion du totalitarisme dans une démocratie. Derrière cette série, on espérait que ça n'arrive jamais, mais au final je me dit qu'on n'en est plus très loin…  En fait, à partir du moment où un gouvernement arrive à determiner comment les gens doivent voter, c'est facile de dévoyer la démocratie. C'est ce qui s'est passé en Irlande du Nord dans les 70's. C'est d'ailleurs pour ça que l'IRA a fait une montée en force dans le pays lorsque le gouvernement central de Londres a supprimé les institution locales nord-irlandaises, notamment le Parlement. C'est donc très facile de déstabiliser une démocratie. De plus, avec de l'argent on peut tout faire. C'est l'argent qui régit tout aujourd'hui ! On n'est plus dans un monde où le vote peut faire changer les choses, on est dans un monde où l'argent est roi et peut tout faire. Et je pense que tout peut arriver dans des situations comme ça… Il faut faire attention ! J'ai l'impression qu'il y a encore des gens – et notamment des jeunes – qui se soucient du reel danger qui tournent autour des démocraties. Je pense par exemple à Extinction Rebellion ou les Youth Movements qui se bougent vraiment… Il faut que ça continue !

Le monde est effectivement en train de changer et ce n'est pas forcément en bien. Pensez-vous que tout comme V Pour Vendetta, quelque chose puisse se passer pour combattre ce négativisme ambiant ?

Je ne sais pas… En tout cas, ce qui est sûr c'est que ce n'est pas un personnage masqué comme dans V Pour Vendetta qui remettra de l'odre dans tout ce bordel ! (rires) Si j'étais optimiste, je te dirais qu'il faudrait un mouvement puissant avec des gens qui agiraient sans compromission. Aux États-Unis par exemple, je ne sais même pas si les Démocrates pourraient jouer ce rôle-là. En fait, il faudrait qu'une force puisse s'ériger contre le pouvoir de l'argent. Pour moi, ce serait la clé du combat. En fait, quand tu vois des milliardaires comme Elon Musk ou Jeff Bezos qui pourraient mettre une partie de leur agent pour la bonne cause mais qui ne pensent qu'à aller se promener dans l'espace, je me dis que c'est peine perdue. Ces gars-là ne pensent qu'à eux. Il ne pensent pas aux petites gens, ils ne pensent qu'à leur argent et surtout à payer le moins d'impôt possible pour faire fructifier leur capital ! Du côté de Bill Gates, je ne pense pas qu'il soit aussi philantrope qu'il veut bien le laisser croire, mais je dois avouer qu'il semble faire du mieux qu'il peut pour aider les gens… Au final, je crois que tant que les gens ne se révolteront pas contre les institutions et les puissants, il ne se passera rien. Tant que les gens seront contents de pouvoir regarder Netflix, Disney+ et toutes ces merdes, ils resteront apathiques. Tant qu'il y aura du pain et des jeux, personne ne se révoltera. C'est aussi simple que ça…

                                                             

Le masque de Guy Fawkes est un symbole iconique fort de la protestation partout dans le monde. C'est quelque chose don’t vous êtes fier ?

Oh oui ! C'est fantastique ! Le fait d'avoir pu créer quelque chose sur du papier et qui représente maintenant une cause dans la réalité est très gratifiant pour moi. J'en suis vraiment très fier. J'espère que tous les gens qui portent ce masque pour protester à l'instar des Anonymous parviendront à changer le monde dans lequel ils vivent…

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre projet, Aces Weekly ?

Je veux pouvoir changer les choses moi aussi à mon modeste niveau et Aces Weekly me permet de mettre en avant des comic books d'artistes talentueux en ligne. Je trouve que le paiper est cher et qu'il ne sert à rien d'abattre des arbres inutilement. Il est possible de lire des comics sur écran, pourquoi s'en priver ? Il faut changer nos habitudes pour éviter tous les intermédaires dans l'industrie des comic books (les imprimeurs, les éditeurs, les distributeurs, etc.). Avec Aces Weekly, il est possible de découvrir plein de nouveaux personnages et d'histoires passionantes en un seul click ! Pour moi, le digital est une réelle alternative au papier et il faut l'adopter. On est au 21ème siècle…

Que peut-on attendre de vous dans l'avenir ? Est-ce que des projets sont en cours ?

Non, je n'ai aucun projet à venir. Je me concentre sur Aces Weekly car je crois fort en cette aventure. J'espère que ça va marcher et que les lecteurs de comics vont suivre !

Un grand merci à Wizard Communication ainsi que toute l'équipe du TGS

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