Mine de rien, Delirium s'est imposé au fil des années comme une maison d'édition proposant des ouvrages indispensables pour les amateurs de BD anglo-saxones. Judge Dredd ? C'est elle. Richard Corben, Grand Prix 2018 du Festival d'Angoulême ? C'est encore elle. Et si je vous dis Alan Moore et Tarzan ? Oui, vous aurez compris que Delirium est un éditeur avec qui il faut compter. Et ça tombe bien, son boss a accepté de répondre à nos questions.
Delirium : Je m'appelle Laurent Lerner. Je suis éditeur de la maison d'édition Delirium.
Delirium : J'ai toujours aimé travailler les offres éditoriales, chercher des contenus, les proposer, ce que j'ai fait pendant pas mal d'années en télévision. Et là, je souhaitais le faire en indépendant et j'avais des projets en BD qui me tenaient particulièrement à coeur, comme La Grande Guerre de Charlie qui est la première BD que j'ai publiée. Et tout est parti de là. Au départ, je voulais faire une série et puis j'ai continué. Un livre s'est enchaîné, puis un autre et, par la force des choses, Delirium est devenu une maison d'édition avec un catalogue qui est en train de s'étoffer. Et moi, je suis devenu éditeur.
Delirium : Les premières difficultés ? Je n'en ai pas vraiment rencontrées, grâce à mon ami Serge, des éditions Cà et là, qui m’a accompagné pendant les deux premières années et appris le métier. Les choses se sont faites comme elles doivent se faire quand on apprend un nouveau métier. Ca a été effectivement des découvertes, des expériences, et j'ai pris du plaisir dans toutes les situations. Les premières récompenses sont quand on voit les livres arriver et qu'on voit qu'ils se tiennent, qu'ils sont beaux, qu'on a envie de les lire et de les relire. Après, ce qui est gratifiant dans ce domaine, c'est qu'on est vite en contact avec les lecteurs et les libraires et on a très vite des retours qui récompensent les efforts qu'on faits.
Delirium : Il y a énormément de choses dans la BD britannique qui ont été peu ou pas du tout exploitées en France. Jusqu'aux années 90, la bande dessinée était un marché énorme en Angleterre avec des productions locales qui se vendaient à des centaines de milliers d'exemplaires. La culture est vraiment différente de la BD franco-belge. On n'est pas sur des albums mais sur du journal assez bas de gamme qui touche les enfants, les ados, les adolescentes, surtout les jeunes, pour résumer. Et parmi toutes ces productions, il y avait des petites merveilles et de très grands auteurs qui ont émergé à la fin des années 70 et dans les années 80.
Delirium : J'ai vécu en Angleterre, petit, et j'ai toujours été fan de comics américains et anglais. Il y a beaucoup de choses qui m'ont marquées et j'étais étonné de voir qu'elles n'étaient pas disponibles en France. C'était l'occasion de les travailler, de les proposer, de montrer que même si la BD anglo-saxonne est essentiellement connue pour les comics américains de super-héros, il y a énormément d'autres choses qui sont très bonnes, de grande qualité avec de grands auteurs et qui méritent d'être découvertes. Il ne faut pas oublier que quand DC a lancé Vertigo, ils se sont appuyés sur une épine dorsale qui était constituée d’auteurs britanniques.
Delirium : La ligne éditoriale se définit assez naturellement. Je suis attiré par la BD de genre (SF, épouvante, guerre, série noire). On est sur de la BD de genre qui, je l’espère, peut être stimulante sur le plan culturel en créant des passerelles avec d'autres oeuvres ou d'autres supports, ou en faisant référence à des faits historiques, à des univers parodiques, à des réflexions critiques qui enrichissent le divertissement.
Delirium : Sur leurs qualités artistiques leur ton ou leur originalité, et j’espère qu’elles apportent quelque chose de stimulant au lecteur.
Delirium : Non, pas du tout. Je suis très heureux quand j'arrive à travailler avec des auteurs célèbres mais, pour moi, ce qui prime avant tout, c'est la qualité de l'oeuvre.
Delirium : J'ai le même traitement pour tous les livres mais cet effet locomotive est indéniable et utile. Cette année, grâce aux publications de Richard Corben et à son Grand Prix à Angoulême, tout le catalogue Delirium a gagné en visibilité. Mais je travaille tous mes livres de la même façon auprès des média et des libraires, et je m’efforce de les pousser au maximum, ce qui n’est vraiment pas facile pour une petit éditeur dans un environnement ou les « gros » ont beaucoup plus de visibilité.
Delirium : C'est en fonction du succès, je veux que les meilleurs récits de Judge Dredd soient accessibles. Ca a déjà été expérimenté plusieurs fois et ça n'a jamais tenu la distance. Parfois les éditions étaient variables en termes de qualité. C'est assez confus, d'autant que l'image du personnage est assez brouillée entre le film de Stallone qui était une catastrophe, entre les comics américains qui ont racheté la licence aux anglais pour faire un comics adapté aux US avec un traitement différent et bien moins critique. J'essaye de proposer les meilleurs Judge Dredd originaux, tels qu’ils furent publiés en Grande-Bretagne, dans leur ordre de parution chronologique (les Intégrales des Affaires Classées) ou dans des sélections pertinentes (déjà trois autres albums parus) pour proposer au lecteur de découvrir la série et son univers dans une collection cohérente. C'est difficile d'avoir une visibilité, de dire jusqu'à quand j'irai. Il y a une quantité énorme de choses. Ce qui est certain, c'est que je vais bien avancer dans les premières années de Judge Dredd car il y a quasiment tout le temps de super idées, à la fois drôles et bien vues. Je vais aller le plus loin possible en espérant que le lectorat suive et continuer à proposer de temps en temps des hors-séries qui peuvent être plus récents et qui permettent d'entrer dans l'univers par un biais différent. Le tout est de trouver la bonne manière de le faire.
Delirium : J'ai beaucoup de retours du public, dans tous les festivals. Des retours souvent très bienveillants même s’il y a toujours de râleurs, bien sûr ! Les lecteurs qui suivent Delirium sont fidèles. J'ai des retours sur les festivals, par mail, sur Facebook. Beaucoup de bons retours. C'est très gratifiant, ça fait beaucoup de bien car c'est beaucoup de boulot. On ne sait jamais où on va, il y a toujours une appréhension, un petit doute et c'est vraiment rassurant et encourageant.
Delirium : Mon public ? Surtout des adultes, à partir de 20-25 ans, quand les lecteurs de comics ont commencé à explorer le background culturel et à regarder autre chose que le mainstream. J'ai également des lecteurs plus âgés qui lisent historiquement des BD de genre, Creepy, Eerie, Metal Hurlant, etc. ou qui sont heureux de retrouver des univers ou des personnages qu’ils aimaient dans leur jeunesse.
Delirium : On cherchait des titres qui nous faisaient plaisir, et qu méritaient d’être redécouverts. Dans Creepy et Eerie, il y a tellement de merveilles, tellement de richesses qu'on s'est arrêté sur ce choix-là et on s'est régalé.
Delirium : On essaie de faire de beaux objets, des livres qu'on aura envie de relire, de ressortir, de regarder. Ca veut dire qu'on attache une importance à la fois à l'oeuvre qu'on va essayer de traiter dans les meilleures conditions possibles et à ce qu'on peut apporter pour que l'objet soit réussi intégralement. Comment peut-on transmettre autre chose aux lecteurs qui ont aimé une oeuvre ? En leur donnant envie de découvrir encore autre chose, d'autres oeuvres des mêmes auteurs ou des oeuvres qui pourraient leur plaire sur d'autres supports, des films, des livres. Faire en sorte que le livre soit quelque chose d'ouvert qui permette au lecteur de passer un bon moment, bien sûr, mais aussi de découvrir, de s'interroger, de trouver des passerelles et d'aller explorer ces univers autrement.
Delirium : C'est difficile car il y a tellement de choses et malheureusement il y a une telle surproduction que ce n'est pas facile de faire exister des BD patrimoniales comme celles-là chez les libraires et de toucher le lectorat sur de longues collections dont les ventes baissent mécaniquement. Je pense qu'il faudra continuer à sortir des merveilles tirées de ces collections, car il y en a encore plein mais il faudra toujours faire un choix. Faire ça de manière cohérente et pertinente pour que le lecteur soit satisfait et voie le meilleur. Pour l'instant il y a un Creepy 3 de prévu. On verra la réaction du lectorat. Si elle est toujours aussi bonne, il y a des chances que l’on continue.
Delirium : Oui, on continue. C'est un auteur que j'adore.
Delirium : Une relation assez claire. Il est content du travail qu'on fait car on essaie de faire des beaux livres, de mettre en valeur son travail et donc il apprécie énormément.
Delirium : Le format, le choix de papier. Il n'a pas toujours été habitué à ce que les éditeurs travaillent sur ses livres de cette façon-là.
Delirium : Bien sûr, et je ne suis pas le seul. On a été très nombreux et régulièrement on lui demande mais il ne veut pas. Libre à lui, bien sûr. Il y a plusieurs raisons à cela : Il n'a jamais cessé de faire évoluer son travail et Il continue de faire des recherches sur le plan graphique ou sur le plan narratif. Il a surtout envie de montrer en permanence là où il en est aujourd'hui. C'est une démarche artistique. Pendant des années les lecteurs venaient le voir pour lui demander Den, Den, Den. Il était là pour dire : "Regardez ce que je fais aujourd'hui". Il y a aussi le fait qu'il a été beaucoup critiqué ou systématiquement stigmatisé pour ses dessins de corps fantasmés hypertrophiés ou hypersexués, qui lui ont valu beaucoup d'ennuis ou de jugements hâtifs voire péremptoires. Il a envie de faire le boulot qui lui plaît librement et de toujours montrer comment il évolue dans son travail.
Delirium : Richard Corben est un auteur qui s'adresse très souvent à des lecteurs très fidèles qui sont autant collectionneurs dans l'âme que passionnés par son oeuvre et qui ont l'habitude de traiter ses livres avec respect, parce qu'ils sont rares et pas forcément réédités. Ses lecteurs sont attachés à leurs éditions. Tout concordait pour que nous puissions lancer un projet d'édition spécifique, un bel objet. Cela n'aurait pas été réaliste, en termes de difficultés, de choix et de coûts de fabrication de proposer une telle édition en librairie dans le circuit traditionnel. On ne peut pas se permettre quand on est une petite maison d’édition de faire un tirage « aveugle » et d'avoir autant de commission sur un projet aussi coûteux ou d'avoir trop de retours. L'idée est donc venue de faire cette belle édition à l'occasion de la sortie de sa nouvelle série, en s’adressant directement aux fans et aux amateurs de beaux livres prêts à aider à sa réalisation.
Delirium : Il n'a pas aidé à la conception de ces bonus-là, mais il a à chaque fois donné son accord pour que tout se fasse et nous a fait confiance pour la réalisation de ce projet. Pour lui, c'était aussi une expérience, il était curieux de voir comment ça évoluait et ce que ça pouvait donner. Il a aussi joué le jeu en signant les certificats qu'ont pu s'offrir certains contributeurs. C'est assez énorme de signer une centaine de certificats.
Delirium : Oui, ça a été un beau succès et comme Richard Corben nous l’a dit lui-même, cette édition était encore plus belle qu’il l’avait espéré. Quand aux autres projets, ils se feront quand il y aura vraiment des projets pertinents. Le but n'est pas de faire du crowdfunding pour faire du crowdfunding et lever des fonds. Les lecteurs n’ont pas plus d’argent parce qu’il y a plus de projets, et il ne faut pas les saturer de projets peu intéressants. Il faut aussi que ce soit cohérent avec l’offre éditoriale de Delirium, et qu'il y ait un vrai apport par rapport à un livre distribué en librairie. On espère en faire d'autres quand on aura les bons projets.
Delirium : Tout d’abord parce Tarzan est un personnage très populaire et pas seulement auprès des lecteurs de comics et que ces histoires n’avaient jamais été rééditées ni rassemblées auparavant en français.
Ca a l'air classique aujourd'hui mais c'est une série que Joe Kubert a faite en transformant Tarzan, en reprenant complètement le personnage depuis ses origines et en l'adaptant au traitement moderne des comics dans les années 70. Et ce traitement a été mal compris à l'époque alors que c'était vraiment un tournant dans la manière de raconter les histoires de Tarzan. Joe Kubert qui un des auteurs majeurs de comics du siècle dernier est en plus un raconteur merveilleux. Fan de Tarzan, il s'approprie les romans de Burroughs tout en leur restant fidèle -, c'est magique ! - et partage sa passion pour Tarzan et son univers.
Quant au format, l'idée est aussi que l'on puisse savourer la qualité graphique et la qualité de la narration. Le format comics est parfois un peu petit, surtout pour des lecteurs français qui sont habitués au plus grand format de la BD franco-belge et les fans de comics sont heureux de toute façon de les lire dans ce format-là.
Delirium : Non, ce n'est pas si compliqué. Effectivement, ça m'étonne de voir tant d'éditeurs se lancer, car l’activité d’éditeur indépendant de comics est parfois difficile mais il y a de la place pour les bonnes choses. Il faut donc faire les bons choix et se créer une identité propre. Delirium ne fait pas 50 livres par an. Je cherche à faire peu de livres mais à bien les identifier, à bien les pousser. Les gros éditeurs de comics prennent certes beaucoup de place mais il y en a encore un peu pour les autres.
Delirium : Non, pas pour l'instant. C'est un choix. Je préfère faire moins de livres mais bien les choisir et les pousser afin qu'ils aient tous une chance d'exister et d'être visibles auprès des lecteurs et des libraires plutôt que d'en faire plus qui vont être noyés dans la surproduction actuelle.
Delirium : L’édition « librairie » du nouveau Corben vient tout juste de sortir et nous avons réimprimé tous les anciens titres de parus chez Delirium qui étaient épuisés. En octobre on va sortir l’intégrale en un volume de La ballade d'Halo Jones d'Alan Moore dans sa version grand format d'origine et en couleurs, puisqu'elle a été colorisée par une jeune coloriste qui a fait un travail exceptionnel, Barbara Nosenzo. C’est une belle occasion de faire découvrir ce chef-d’oeuver d’Alan Moore, finalement assez peu connu des ses lecteurs français. Et en novembre sortira le deuxième tome de Tarzan pour compléter l'intégrale de tout ce qui a été écrit et dessiné par Joe Kubert. Il y aura ensuite toujours du classique américain, du classique anglais, comme Slaine, Creepy et d’autres surprises que l’on annoncera en son temps. Tenez bon, ça arrive.
Merci Laurent pour tes réponses. Pour en savoir plus sur Delirium, cliquez ici
J'adores ce que propose Délirium et leur ouvrages sont de très bonne qualité. Cependant, je ferais le petit reproche qu'en Belgique, il n'est pas toujours évident de se procurer leurs livres et qu'il faut massivement passer par la commande précise car on ne trouve pas leurs livres en rayons autrement et c'est vraiment dommage... mais franchement je n'ai regretter aucun de mes achats issu de leur catalogue et c'est quelque chose d'assez rare.
Etant grands fan des contes de la crypte qui furent mon premiers comics lu (je ne connaissais DC et Marvel que pour leur adaptation en DA et film), j'ai adoré lire les anthologies Eerry, Creepy ainsi que les "Richard Corben/ Bernie Wrigton(pas sur de l'ortho) presente". Le travail d'edition etait trés correcte.
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