Scénario: Johns Geoff – Dessin: Collectif

Pendant des années, Bizarro, le clone raté de Superman lui a mené la vie dure sur Terre. Mais désormais, doté de nouveaux pouvoirs, Bizarro va se créer son propre monde et y kidnapper le père du héros. Ce dernier pourra-t-il supporter ce reflet déformé ?
Contient les épisodes US Action Comics #855-857, Superman Man of Steel #5 & Action Comics #850.

  • Doc'
    Doc'

    il y a 11 ans

    Un chef d'oeuvre.

  • Julien
    Julien Staff MDCU

    il y a 11 ans

    Une des meilleures histoires de Superman, une très bonne idée de cadeau !

The Curse of the Atomic Skull

Superman: The Man Of Steel (1991-2004)

Superman : Family

Action Comics (1938)

Quelle drôle d’idée que d’écrire une histoire de Bizarro au XXIe siècle ! Ce double grotesque de Superman à la logique inversée cadrait très bien avec les concepts loufoques du Silver Age mais, franchement, avait-on besoin de le retrouver aujourd’hui ? Franchement ? Oui. D’abord, il a beau être ridicule, il fait partie de la mythologie de l’homme d’acier, comme Krypto le superchien ou Mr Mxyzptlk. Ensuite, il a ses indéfectibles fans qui voient en lui autre chose qu’une farce de mauvais goût. Et parmi eux, nul doute qu’on compte Geoff Johns. Le scénariste star qui a brillamment revitalisé des tas de franchises chez DC s’attaque là avec bonheur à ce célèbre antagoniste de Superman.

Après avoir utilisé le personnage dans un rôle mineur dans Last Son of Krypton, Johns est arrivé à la conclusion que Bizarro est un concept qui ne fonctionne que s’il n’est pas mélangé au reste du Superverse. Il lui consacre donc un arc entier et en profite pour réintroduire le Bizarro-monde en trouvant une explication rationnelle à son existence. L’intrigue de départ est d’une extrême simplicité : Bizarro kidnappe Pa Kent et l’emmène sur sa planète ; Superman part à sa poursuite pour sauver son père. Cette bien maigre trame serait décevante si elle n’était pas l’occasion pour Johns (aidé de Richard Donner, coscénariste dont on sent pourtant peu la présence) de donner à Bizarro l‘humanité et la complexité qui lui font si souvent défaut. Et il y parvient avec un talent certain. Tantôt effrayant, tantôt risible, le clone raté de Superman se révèle particulièrement émouvant en paria simple d’esprit prêt à tout pour rompre sa solitude. Avec une certaine cruauté, Johns lui donne un monde à son image dans lequel il a en apparence tout pour s’épanouir pour finalement le rendre plus isolé et incompris que jamais.

Métaphore sur la différence et son corolaire l’exclusion, cet arc étonne par la richesse du spectre émotionnel qu’il explore. Multipliant les coups de théâtre dans son intrigue a priori basique, Johns alterne les registres, passant de séquences burlesques à des scènes intimistes ou effrayantes. L’un des principaux ressorts dramatiques de l’histoire est la relation qui unit Superman à son père. Personnage essentiel de la mythologie Superman, Jonathan Kent reste pourtant étrangement peu exploité depuis des décennies. C’est bien simple, Pa Kent est tellement générique que les dessinateurs ne se préoccupent même pas de le dessiner avec un physique identifiable (comparez les versions de différents artistes, si vous ne me croyez pas). Là, grâce à de judicieux flashbacks, on découvre comment il a transmis à son enfant ses valeurs morales et comment il continue à faire de même aujourd’hui. Sa personnalité n’en sort pas forcément approfondie mais on comprend mieux la complicité et l’attachement qui le lient à son fils adoptif. D‘ailleurs, face à la disparition de son père, Superman, généralement si serein face à l’adversité, est rapidement déstabilisé. Son sang-froid est mis à rude épreuve lorsqu’il doit affronter une créature pathétique pour sauver celui qui l‘a élevé. Et, bien que victime de Bizarro, c’est son père qui lui rappelle que son adversaire est plus pitoyable que condamnable. Pour illustrer cette aventure hors norme, Johns a fait appel à un artiste habitué à la tragicomédie, aux gueules cassées, un dessinateur que le bizarre et l’absurde n’effraient pas : j’ai nommé Eric « The Goon » Powell. Autant prévenir tout de suite, Powell possède un style très personnel, à la fois humoristique (à la limite du cartoonesque) mais aussi très sombre, voire franchement angoissant (cf la superbe pleine page avec Bizarro-Loïs). Plus habitué à sa série indé qu’à l’univers des superslips, il ne fait aucune concession et conserve toutes les caractéristiques de son graphisme si particulier. Et l’alchimie opère, Powell traduisant à merveille l’ambiance inquiétante et parodique du récit. Mieux, Powell semble né pour dessiner Bizarro, tous ses excès visuels faisant écho aux caractéristiques du personnage.

Techniquement, Powell utilise un découpage assez classique. Il emploie avec bonheur des lavis de ton glauque (bravo à l‘excellent coloriste Dave Stewart) qui transcrivent parfaitement le malaise qui sourd de ce monde grotesque. Mais là où son Bizarro s’impose comme une évidence, on pouvait être inquiet pour son Superman, dont la noblesse des traits s’éloigne des habituelles figures difformes qu‘il dessine à longueur de page. Il trouve ici une habile parade. Puisque c’est habitué des ambiances rétro, Powell s’inspire de l’iconographie des dessins animés Superman réalisés dans années 40 par les frères Fleischer, voire des traits de l’acteur Georges Reeves, célèbre interprète de la série télévisée Superman des années 50. L’hommage aux fifties se prolonge d’ailleurs dans ses scènes spatiales évoquant les travaux de Wally Wood à cette période.

Conclusion : Pour résumer, les trois auteurs nous offrent une version moderne et fidèle d’un personnage aussi culte que kitsch, surfant habilement sur l’atmosphère de sa période de création (1958). Prenant son public à contre-pied, Johns choisit une histoire qu’on aurait pu croire loufoque pour décrire de façon poignante le rôle de Superman en tant que fils juste après Last Son of Krypton où Superman se retrouvait dans le rôle d’un père adoptif. Notons que, pour la version française, Urban a eu la bonne idée de reprendre, à l’instar du recueil américain, l’épisode présentant la version post-crisis de Bizarro par Byrne. Et, pour combler ce volume, nous avons droit à un sympathique épisode inédit en français (co-scénarisé par Johns, Busiek et Nicieza) revisitant l’histoire de l’homme d’acier.

Points forts : Un mariage graphique réussi entre l’indé et le mainstream - Une version modernisée et crédible de Bizarro - Un récit riche en émotions

Points faibles : Johns lorgne un peu trop sur le All-Star Superman de Morrison - Le parler Bizarro mal maîtrisé

Note : 4,5/5