Interview de Tom Orzechowski au PopCon de Toulouse

Interview de Tom Orzechowski au PopCon de Toulouse

"Mon nom se prononce [or-ze-kov-ski] mais vous pouvez m’appeler Tom, ce sera plus simple !". Voilà les premiers mots à notre intention du sympathique Tom Orzechowski avant de rentrer dans le vif du sujet de l’interview et de faire la lumière sur le métier peu connu de lettreur dans le petit monde des comics. Présent dans l’industrie des comic books depuis la fin des années 1960 / début des années 1970, le sieur Orzechowski a été à la manœuvre dans de très nombreux titres (on peut citer les X-Men ou Spawn) et sa venue à Toulouse était donc l’occasion idéale de parler avec lui sur l’apport du lettreur dans la mise en place d’une histoire au sein des comic books.

Après de nombreuses années à travailler pour des éditeurs de renom comme DC, Marvel, Image et bien d’autres, quel regard avez-vous sur l’industrie du comics de nos jours ?

C’est un milieu qui fait peur ! (rires) Les films et les jeux vidéo issus de l’univers des super-héros se vendent mieux que les comic books… Cependant, tout le monde veut publier ses propres comics ! Ainsi, il y a pas mal d’éditeurs indépendants qui fleurissent partout aux États-Unis en ce moment avec énormément d’engouement autour d’eux, et ça, c’est quelque chose de génial ! Évidemment, parmi tous ces comic books, il y a du bon et du moins bon, mais la volonté créative est belle et bien là…

Vous êtes connu pour être un lettreur légendaire depuis la fin des années 1960 / début 1970. Pourquoi avoir choisi ce métier si particulier et quel a été votre parcours pour en arriver là ?

En 1968 quand j’avais 15 ans, j’ai rejoint un club de comic books à Detroit dans lequel il y avait notamment Rich Buckler, Al Milgrom, Jim Starlin, Tony Isabella ou Mike Vosburg. Ces artistes en herbe étaient vraiment très doués pour le dessin… et tous étaient bien meilleurs que moi ! (rires)
Artistiquement parlant, je savais que je ne pouvais pas leur arriver pas à la cheville, mais vu j’avais quelques bonnes notions de dessins industriels (tout se faisait à la main et sans ordinateur à l’époque), j'ai pensé que je pouvais utiliser mes connaissances afin de les retranscrire dans l’art du lettrage. J’ai donc proposé aux artistes de m’occuper de réaliser le lettrage de leurs comics à partir du script, ce qu’ils se sont empressés d’accepter dans la mesure où personne ne voulait faire ce travail ! (rires) Du coup, j’ai toujours eu ma place dans le club…
Plus tard, quand j’avais 19 ans, l’un de ces artistes qui travaillait alors chez Marvel m’a dit que l’éditeur cherchait quelqu’un pour faire des petits boulots que personne ne voulait faire au sein du département production… (rires) C’était à New York et vraiment très mal payé… Mais j’y suis allé quand même car je voulais mettre un pied chez Marvel. J’ai donc commencé à y travailler dès le mois de janvier 1973 et au bout de quelques mois, j’ai réalisé les lettrages de comics dessinés par Rich Buckler (Black Panther) ou Jim Starlin (Captain America). Tous ces artistes que j’avais côtoyés quelques années auparavant m’ont aidé à faire ma petite place chez Marvel, nous étions très unis...
Entre temps j’avais fait la connaissance d’un certain Chris Claremont bien avant qu’il ne s’occupe de la série X-Men. Deux ans plus tard, lorsque la série est sortie, il a fait appel à moi pour travailler sur ce titre, sur un run qui a duré plus de 16 ans ! (rires)

Avec l’arrivée des ordinateurs et de nouveaux logiciels qui permettent de faire le travail du lettreur en quelques clics, pensez-vous que le lettreur puisse devenir une espèce en danger d’ici peu ?

En ce qui me concerne, je ne pense pas que les bons lettreurs soient en danger. En effet, à partir du moment où le lettreur connaît parfaitement son métier et sait agencer son travail entre le script du scénariste et le dessin de l’artiste, il sera toujours un élément central de la création du comic book. En effet, les jeunes artistes d’aujourd’hui sont très doués mais ils ne savent pas comment doivent se placer les dialogues dans leurs dessins. Un bon lettreur sera donc toujours indispensable car la jeune génération ne sait pas vraiment comment utiliser l’espace pour agencer les textes et mettre en relief le storytelling…
D’ailleurs, tout à l’heure, vers 15 heures, je vais faire un petit workshop sur le lettrage des planches afin d’expliquer au public le travail du lettreur. Vous y serez ?

Bien sûr !

Vous verrez donc en l’espace de 45 minutes que le job du lettreur ce n’est pas seulement de placer des bulles et écrire du texte à l’intérieur… Non, son travail c’est de véritablement faire du design de page ! Il faut collaborer avec l’artiste mais toujours garder en tête que le lettrage est quelque chose de plus important que le dessin car c’est le lettrage qui permet le storytelling. Mais l’artiste n’est pas toujours d’accord avec ça… et il a tort ! (rires)

Depuis toutes ces années dans l’industrie des comic books, vous avez été le témoin de nombreuses évolutions. En ce sens, vous avez été d’ailleurs l’un des premiers à avoir utilisé l’ordinateur il y a plus de 20 ans. Aviez-vous conscience que ce serait la fin d’une ère plus artisanale ?

(Il réfléchit) Je ne pense pas que l’arrivée de l’ordinateur ait marquée la fin d’une ère. Je pense qu’il en a créé une nouvelle, totalement différente… En effet, dans ce métier, il faut savoir s’adapter à la nouveauté et ne pas avoir d’œillères. Un artiste peut travailler avec les mêmes outils pendant toute sa carrière s’il le souhaite, mais si ses outils deviennent obsolètes, c’est que l’artiste ne se sera pas adapté au monde qui l’entoure...
En ce qui me concerne, ça ne me transcende pas tellement de devoir travailler avec des outils digitaux mais c’est une nécessité dans ce métier, donc je fais avec. Ça ne me pose pas de problème particulier car j’ai toujours su m’adapter aux nouveaux environnements… et ce, depuis presque 50 ans ! (rires)
De plus, ce genre d’évolution a du bon car ça permet de découvrir de nouvelles approches artistiques, d’être plus rapide, etc. C’est pour ça que je pense que l’arrivée des nouvelles technologies doit être vue comme une nouvelle manière de travailler. On ne peut pas comparer tellement l’approche qu’on avait sur les comic books des années 1970 avec ceux d’aujourd’hui… De mon côté, j’essaye de faire le lien entre ces deux époques en gardant une style plutôt organique.

Durant votre carrière, vous avez pu travailler sur de nombreuses séries à succès comme X-Men ou Spawn, par exemple. Avez-vous l’occasion d’apporter vos propres idées ?

Oui, à l’époque il était possible pour un lettreur d’apporter ses propres idées… mais il ne fallait pas avoir peur de la faire ! (rires) En ce qui me concerne, j’ai travaillé longtemps avec Chris Claremont sur la série X-Men et on a construit une véritable relation d’amitié au fil du temps. Chacun savait comment travaillait l’autre et il y avait une bonne alchimie entre nous si bien qu’il m’était possible de donner mon point de vue sans me faire taper les doigts par Chris ou bien l’éditeur.

En tant que véritable légende dans le monde du lettrage, est-ce que vous pouvez choisir les équipe créatives avec lesquelles vous allez collaborer ou est-ce que c’est l’éditeur qui l’impose ?

Non, je n’ai malheureusement aucun contrôle là-dessus ! (rires) Bien évidemment, j’adorerais retravailler avec des gens comme Chris Claremont ou Grant Morrison mais ce n’est pas moi qui décide, c’est l’éditeur. Et vu que le lettreur est souvent considéré comme la personne la moins importante de l’équipe créative, on ne me demande jamais mon avis ! (rires)
Toutefois, même lorsque je suis amené à collaborer avec une équipe créative qui ne me plaît pas trop, je fais mon travail de manière toujours professionnelle.

Vous avez travaillé sur de nombreuses séries durant votre carrière. Comment ça se passe quand vous devez travailler sur un titre que vous n’aimez pas trop ?

En règle générale, je n’y reste pas longtemps ! (rires) Il y a quelques séries que je n’ai pas aimé faire… Mais au vu de mon grand âge et que tous les collaborateurs sont morts (rires), je peux dire que j’ai détesté travailler sur Rom, Moon Knight ou Micronauts. Je n’ai pas aimé les personnages, ni les histoires… Je me suis donc retiré de ces comic book dès que j’en ai eu l’occasion ! (rires)

Avec le mouvement #MeToo qui s’est développé un peu partout dans le monde depuis 3 ans, pensez-vous que les femmes sont de plus en plus mises à l’honneur dans l’industrie du comic book ?

Oui, absolument ! Je trouve que c’est une très bonne chose que les femmes soient mises en avant dans l’industrie des comics. Lors de ma première convention à San Diego en 1975 ou 1976, les seules femmes présentes étaient les petites-amies des gens qui évoluaient dans ce métier…
Aujourd’hui, il y a de plus en plus de femmes qui font partie des équipes créatives (des scénaristes, des artistes, des coloristes…) ou qui bossent dans les éditions et au final, j’ai l’impression qu’il y a presque autant de femmes que d’hommes. Je crois que ce sont des femmes qui dessinent actuellement les personnages de Captain Marvel, Wonder Woman ou Thor et c’est une excellente chose ! Je pense que l’industrie du comics ne doit pas être réservé à un genre, une ethnie ou une communauté… Si une femme a du talent et que les ventes de comic books se portent bien, c’est qu’elle est à la bonne place !

Quels sont vos futurs projets ?

Un peu moins de comics… Je vais essayer de lever un peu le pied. J’ai maintenant 66 ans et j’ai envie de me faire plaisir : je pense faire un peu de dessin. Oh, ça ne sera pas des dessins pour les comic books ou destinés à être publié… Ce sera simplement pour me faire plaisir et pour renouer avec cet art que j’ai laissé de côté depuis trop longtemps. Il n’y aura pas de deadlines, de commandes, de médias… juste du pur plaisir ! (rires)

Un reboot de Spawn est prévu pour le cinéma. C’est une série sur laquelle vous avez beaucoup travaillé…

Oui, c’est vrai ! C’est Jamie Foxx qui incarnera le personnage de Spawn. Je ne sais pas quand le film sortira mais, aux dernières nouvelles, Todd McFarlane était très impliqué dans ce projet-là. Todd est un véritable bourreau de travail : quand on travaillait ensemble sur Spawn, il n’arrêtait pas de m’envoyer ses scripts pour les prochains numéros alors même qu’il participait à de nombreuses conventions ! (rires) Il me tarde de voir ce film ! Il n’y a pas encore eu de trailer et la date de sortie n’a pas encore été fixée car il faut que Todd anticipe avec les sorties des films de Marvel et DC. En tout cas, je pense que les fans ont vraiment envie de voir ce film… mais le tout c’est de savoir quand ! (rires)
De mon côté, je pense que ce reboot de Spawn sera super car Todd y mettra tout son dynamisme et sa passion…

Un grand merci à Tom Orzechowski pour sa disponibilité et sa gentillesse ainsi qu’à Laura et Nicolas !

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