Aujourd’hui sort la troisième et dernière intégrale de Strangers in Paradise. Aussi le moment est-il venu de vous parler du volume 2 sorti en fin d’année dernière.

Strangers in Paradise est une série de comics indépendants qui a eu, aux Etats-Unis, une publication un peu compliquée, car surtout éditée par son auteur, Terry Moore. Elle a débutée en 1993, et sa conclusion n’est arrivée qu’en 2007. Delcourt nous propose donc ici, en trois albums, l’intégralité de la série. Le premier tome nous présentait les personnages, et nous dévoilait les ingrédients qui allaient faire le charme de la série. Cette deuxième intégrale continue de creuser les deux personnages principaux : Francine et Katchoo. L’album est d’excellente qualité, mais est encore plus gros que le précédent, avec plus de 800 pages, et 2 kg sur la balance.

L’album s’ouvre sur l’adolescence de Francine et Katchoo, ce qui permet de montrer l’éducation totalement différente qu’elles ont reçue, et donc d’expliquer certains traits de leur caractère. Dès le début, on retrouve la qualité d’écriture de Terry Moore, avec des dialogues travaillés. Les attitudes sont exacerbées, permettant de raconter l’histoire avec humour et recul. Mais si le dessin peut être parfois assez cartoon, il sait redevenir plus fin et plus travaillé pour les moments plus sérieux ou plus poétiques. Les émotions des personnages sont décuplées, avec des mimiques faciales exagérées ou de grands gestes, afin de nous les transmettre, et ça fonctionne ! Strangers in Paradise est un comics qui nous implique, et qui nous fait ressentir énormément d’empathie pour ses personnages.

S’il y a une chose que vous devez retenir de cette série, c’est vraiment les émotions qu’elle arrive à transmettre. Les personnages sont extrêmement bien écrits, proches du réel, avec leurs qualités, mais aussi leurs défauts. Leur humanité et leur proximité nous rappellent des souvenirs que nous avons tous vécus. Strangers in Paradise est une magnifique histoire d’amour qui transcende les genre. Oui, parce que Francine et Katchoo sont deux femmes qui s’aiment, mais tout ça est loin d’être simple. Francine a du mal à assumer son homosexualité, et Katchoo a une relation compliqué avec David, troisième côté d'un triangle amoureux. Alors bien sûr, toute cette romance fait un peu penser à une série à l'eau de rose pour ado, mais la justesse des sentiments rattrape notre intérêt.

De plus, Katchoo et Francine se fâchent, puis se réconcilient de façon récurrente, mais lorsqu’on commence à s’en lasser, Moore l’anticipe et nous surprend à en plaisanter. D'ailleurs, si le côté romance est bien présent, ce n’est pas le seul genre représenté. Toute une partie de l’histoire concerne les familles de Katchoo et David, liées à des organisations mafieuses. Nous avons le droit à des scènes d’action avec des morts violentes. L’équilibre est bien trouvé entre ces différentes ambiances.

En outre, Moore a décidé de ne pas suivre la voie de la simplicité. Son récit n’est pas linéaire et va aller puiser dans plusieurs époques afin de nous montrer le passé des personnages, mais aussi leur avenir. Nous avons donc une vision globale de leur vie, même si on se perd par moment un peu dans la chronologie, surtout qu’on sent que l’auteur continue à garder volontairement quelques zones d’ombre. Ce n’est cependant pas très grave, puisqu'il nous présente même des futurs hypothétiques, et que plus que la cohérence, c’est les émotions qui priment dans cette histoire.

En effet, il nous fait passer par tout le spectre des émotions. Parfois très drôle, le récit peut être aussi très touchant ou très triste. Je ne rentre pas dans les détails de l’histoire, parce que vous imaginez bien qu’en 800 pages, il s’en passe des choses. Pourtant, l’auteur arrive continuellement à nous surprendre. Il fait varier son style, son ton, propose des clins d’oeil et de nombreuses références. Il n’y a d’ailleurs pas que de la bande dessinée dans le bouquin. Certaines pages sont des extraits de roman, parfois du texte illustré, du théâtre, des poèmes ou des chansons. Tout cette variété casse la monotonie et renouvelle régulièrement notre intérêt.

Le dessin de Moore en noir et blanc oscille entre le cartoon et le plus réaliste. Cependant, l’évolution entre le début et la fin de l’album est constante. Son style est à la conclusion de l'album très maîtrisé et superbe. Bref, Delcourt réalise probablement l’édition ultime de Strangers in Paradise, une série bourrée de qualité. Les nombreuses pistes lancées durant l’album trouveront leur conclusion dans le prochain tome que l’on a hâte de lire, afin de retrouver ces personnages si attachants.