Peter Milligan, ACO

Le vrai pouvoir appartient désormais aux gigantesques multinationales qui se livrent une lutte silencieuse pour la domination mondiale. Leur arme : des agents améliorés par des implants technologiques. Mais qu'arrive-t-il lorsque l'un de ceux-ci se libère de ses entraves mentales ?

(Contient les épisodes American Ronin 1-5, inédits)

Pas d'avis pour le moment.

Panini Comics revient avec un nouveau titre de l’éditeur américain AWA Studios, cette fois réalisé par un scénariste bien connu des lecteurs de comics qui n’a plus à faire ses preuves, Peter Milligan, et par un dessinateur qui a déjà fait les siennes chez Marvel et DC, ACO. De l’action et de la testostérone au programme de ce American Ronin, une mini-série en 5 numéros.

Comme expliqué dans la préface, Peter Milligan s’essaie avec cette histoire à pousser un concept bien connu à son extrême, allant jusqu’à le rendre littéral au cœur de son intrigue. Il s’agit de cette idée de devoir entrer dans la tête des criminels pour pouvoir les coincer et les arrêter. Penser comme eux, voir le monde à travers leur prime, anticiper leurs actions et réflexions. Mais en réalité, ce concept est ici inversé, ce sont les tueurs qui apprennent à connaître leurs victimes pour être le plus efficace possible. Le personnage que nous suivons est un ancien mercenaire, devenu Ronin : un guerrier sans maître. Ou plus spécifiquement, un guerrier qui se retourne contre ses anciens maîtres. Ceux-là même qui l’ont amélioré en tant que tueur, lui permettant de se mettre à la place des personnes qu’il prend en chasse. Cette idée et ce concept de départ sont plutôt originaux et représentent l’intérêt principal de cette histoire. Milligan va beaucoup s’en servir et sera plutôt inspiré pour nous proposer des situations et des intrigues dans lesquelles utiliser ce concept de façon captivante et effective. On appréciera observer notre Ronin ruser pour se procurer ce dont il a besoin pour faire fonctionner ses implants technologiques, ainsi qu’être témoin de ce qu’il verra de la vie des personnes qu’il vise, et sa manière d’utiliser ces informations pour leur nuire. Il s’en servira plusieurs fois de manière subtile et indirecte, en manipulant mentalement ces personnes, ce qui s’avère également intéressant comme angle d’approche pour un mercenaire.

Mais si ce concept est original et prenant, le scénariste a peut-être tendance à trop se reposer dessus, lui faisant perdre un certain charme, et le rendant presque lassant sur les derniers chapitres. L’affrontement avec le méchant de l’histoire repose quasiment exclusivement sur ça, et c’est un peu dommage. Pour autant, ce chassé-croisé entre les deux personnages est rudement bien mené. On sent d’emblée la menace que représente celui qui se fait appeler Incubus, qui est introduit progressivement dans l’histoire, laissant d’abord la place pour poser le contexte et ce fameux concept des mercenaires améliorés. Il y a un vrai duel à distance qui s’installe ensuite, une sorte de chasse où le moindre faux pas peut-être fatal. C’est à celui qui sera le plus malin pour essayer de pousser l’autre à la faute qui prendra le dessus. Le rythme et les retournements de situation sont efficaces, et si la résolution est plutôt attendue, elle n’en reste pas moins de qualité.

Là où le titre pêche un peu plus, c’est dans tout ce qu’il y a autour de ce duel, porté par ce joli concept de tueurs améliorés. Les intrigues et les personnages qui remplissent l’histoire vont, eux, s’avérer tout sauf originaux et inspirés. On va retrouver tous les ingrédients très clichés de ces histoires dopées à la testostérone et à l’action à outrance : les hommes puissants, les gros flingues, les femmes, la drogue, et j’en passe. C’est du déjà vu et il n’y a rien de bien intéressant là-dedans, ça ne plaira sans doute qu’aux vrais amateurs du genre. Même chose pour l’intrigue de vengeance et du personnage qui se retourne contre ceux qui se sont servis de lui pour les tuer un après l’autre, c’est du vu et revu. Ce qui est assez dommage puisque Peter Milligan est capable d'offrir des sous-textes intelligents et profonds à ses récits, alors qu’ici il n’y a vraiment pas grand-chose à retirer passé le premier niveau de lecture. Même cet univers dystopique dans lequel il nous plonge n’est finalement qu’à peine effleuré. Il y avait là un contexte politique et historique à creuser, qui aurait pu peser encore plus sur l’histoire, mais qui finalement a très peu d’intérêt. Cette série aurait pu se dérouler de la même manière dans n’importe quel autre contexte.

Pour revenir sur l’aspect cliché, et pas forcément très progressiste de l’histoire, on peut également noter que ce American Ronin est un titre très masculin. Ce ne sont que des hommes au pouvoir, les deux personnages qui s’affrontent sont également des hommes : c’est un monde d’hommes, en somme. Et ce qui le prouve d’autant plus et n’arrange pas les choses : les quelques personnages féminins sont soit des prostituées, soit des filles à papa qui ont hérité d’une fortune, soit carrément un simple outil qui sert l’histoire d’un personnage masculin. Gail Simone doit en tomber de sa chaise. C’est sans doute un schéma inhérent à ce genre de séries d’action destinées majoritairement à un public masculin, mais est-ce vraiment ce que l’on a encore envie de lire en 2021 ? Même la petite touche progressiste en fin d’histoire semble peu naturelle et sortie de nulle part.

L’autre vrai intérêt de ce titre, c’est sa partie graphique signée par le dessinateur espagnol Aco. Ce titre lui offre peu de restrictions et lui permet de laisser libre cours à son inventivité. Et on sent qu’il prend du plaisir à mettre en valeur l’action et l’ambiance très percutante de la série. Le découpage des planches rend la lecture extrêmement dynamique et nous propose une narration un peu moins classique que ce qu’on a l’habitude de voir, ce qui est d’autant plus appréciable pour un scénario qui, lui, est somme toute assez classique. C’est une mise en scène qui n’est pas de tout repos pour le lecteur, et qui demande parfois une attention particulière, son aspect « éclaté » ne plaira peut-être pas non plus à tout le monde, mais il faut bien avouer que c’est frais, moderne et efficace.

En Résumé

 

LES POINTS FORTS

- Le concept
- La partie graphique
- Le chassé-croisé entres les deux personnages

LES POINTS FAIBLES

- Beaucoup de clichés
- Une dystopie peu utilisée
- Une histoire trop masculine

 

3

Divertissant mais assez désuet

Conclusion

Une mini-série dopée à l’adrénaline, qui se repose exclusivement sur un concept intéressant et des dessins décomplexés. Pour le reste, c’est cliché et conventionnel, voire un peu arriéré, et ça manque d’un propos plus profond.