À l'instar de «Fondu au Noir » auquel il emprunte la forme ce nouvel opus de la série polar de référence est proposé dans un format particulier (300 pages). C'est une nouvelle dans l'univers d'origine.
Au cours de l'été 1988, Teeg Lawless met au point le plus gros braquage de sa carrière. Mais Ricky, le fils de Teeg, et ses amis, s'engagent sur la même voie que leurs pères, et cela va devenir le pire été de leur vie. Un Été cruel est une épopée où la tragédie se transmet de génération en génération. Chef-d'oeuvre des maîtres noirs les plus célèbres de l'industrie, Brubaker et Phillips.

Pas d'avis pour le moment.

Ed Brubaker et Sean Phillips sont à nouveau de retour dans leur univers de Criminal avec un nouveau one-shot intitulé Un été cruel. À la différence des derniers parus comme Mes héros ont toujours été des junkies, Sale week-end, ou encore Pulp, celui-ci est totalement intégré dans l’univers puisqu’il sert de prequel à des personnages de la série Criminal, mais surtout, le format est très différent avec un bel objet de 300 pages. C’est toujours publié par Delcourt.

Autant le dire d’entrée de jeu, si vous aimez le travail de Brubaker et Phillips sur le genre polar, notamment la série Criminal et ses dérivés ; vous allez adorer Un été cruel. On y retrouve tout ce qui fait le charme et la qualité des récits de ce duo d’auteurs, à un niveau encore supérieur, permis par le format qui offre encore plus de place pour s’exprimer. Brubaker fait le choix de revenir sur des personnages que l’on a connus dans la série Criminal, pour nous faire découvrir leur passé. Mais ne vous inquiétez pas si vous n’avez pas encore lu Criminal, ce titre reste tout à fait accessible en tant qu’histoire indépendante. On suit les trajectoires de personnages aux destins que l’on sait d’avance tragiques, et on se pose simplement en témoin du déroulement des évènements qui mèneront inéluctablement à leur perte. Des personnages paumés, des gangsters de seconde zone qui font ce qu’ils peuvent pour survivre, qui tentent de s’accrocher aux quelques opportunités que leur offre la vie, mais qui finissent toujours par faire les mauvais choix et/ou répéter les mêmes erreurs. C’est ce qu’on adore dans les polars, voir ces gens bourrés de défauts et de vices pris dans des engrenages dont ils ne peuvent se défaire, essayant de se battre contre eux-mêmes et contre ces vies qu’ils ont choisies ou qui leur ont été imposées. Cette ambiance sombre et tragique, et l’assurance qu’aucune éclaircie ne sera au rendez-vous, qu’il n’y a aucun espoir, qu’ils ne pourront jamais se racheter, que le destin est implacable. C’est le dénominateur commun des polars, et notamment ceux de Brubaker, mais c’est encore plus évident ici, encore plus appuyé et puissant. Et c’est également le résultat de la thématique que tenait à aborder le scénariste, comme il le confie dans la postface, la transmission intergénérationnelle de ce gène de la violence et de la tragédie. C’est une histoire de voleurs, de casses, de femmes fatales, de détectives privés, d’amour, d’amitié, de trahison ; mais c’est surtout une histoire de famille, de relations père-fils. C’est le cœur de l’histoire et du thème abordé par Brubaker, et il le met parfaitement en scène dans ce récit.

Ce one-shot est en réalité un arc narratif composé de neuf numéros, et non un one-shot type graphic novel. Cela représente une différence importante puisqu’il va permettre aux auteurs de découper leur récit, et d’en jouer dans la narration. Le récit n’est pas totalement linéaire, il nous présente les trajectoires de ces personnages, qui vont toutes se croiser ou être en lien à un moment de l’histoire. Et ces liens, qui engendrent souvent des rebondissements dans l’intrigue, sont intelligemment amenés et mis en place. Chaque numéro va avoir un rôle bien spécifique dans la trame de l’histoire, et sera toujours centré sur un personnage ou un duo de personnages en particulier. On sera parfois un peu en avance dans l’histoire, avant de revenir en arrière pour comprendre comment tout s’est emboité, avant de revenir vers le moment présent et apprécier les conséquences des évènements. Une narration aux petits oignons qui fait que l’on aura du mal à lâcher l’album avant de l’avoir dévoré tout entier.
Si le format permet ces outils et artifices narratifs rendant la lecture encore plus addictive, ces 300 pages permettent également d’offrir de la place aux personnages et à leur développement. Ce qui fait la réussite d’un polar, encore une fois, ce sont ses personnages tragiques. Et pour accrocher complètement à une histoire, il faut pouvoir étoffer les personnages, exposer leur passé, leur histoire et leur psyché, ce qui n’est pas forcément facile à réaliser sur un récit de 60 pages. Ici, si on s’amuse à réduire l’intrigue à sa forme la plus pure, on se rend compte qu’elle n’est pas bien complexe. L’intérêt, c’est que les personnages le soient. Et complexes, ils le sont. Brubaker se sert de toute la place qu’il a pour les développer à merveille, comme il sait si bien le faire. L’écriture est formidable et il est capable de définir un personnage et de provoquer de l’empathie pour lui en seulement quelques cases, disposées sur une page pleine le représentant. Les relations entre eux ne sont pas en reste, elles sont également passionnantes et ne manquent pas de piquant, avec des dialogues de choix et des situations parfaites pour mettre ces relations à défaut et tester leur solidité.
Tous ces éléments offrent une lecture rythmée et passionnante, dans laquelle on est aspiré, pour n’en ressortir qu’une fois la dernière page tournée. Et encore, seulement si on n’est pas hanté dans les heures ou jours qui suivent.

Que dire sur Sean Phillips qui n’a pas encore été dit ? Il a développé une maitrise absolue pour ces polars et nous rend une nouvelle fois une copie parfaite. Ce ne serait clairement pas la même chose sans lui, tellement sa complémentarité avec Brubaker saute aux yeux à chaque page. On lui doit beaucoup dans la création de cet univers incomparable et de cette ambiance tellement propre à la série. C’est toujours assez classique dans le découpage des planches, mais rudement efficace pour du polar. Il sait imprimer le rythme au récit, en alternant des planches très différentes, ou en proposant parfois des pages symétriques qui se répondent l’une à l’autre. Brubaker n’y est sans doute pas pour rien non plus, mais Phillips a forcément le dernier mot sur ces considérations. Enfin, apprécions les couleurs proposées par Jacob Phillips, toujours fidèle au poste, qui la aussi représentent une pierre angulaire de l’ambiance géniale de cet univers.

En Résumé

 

LES POINTS FORTS

- L'ambiance
- La narration
- Les personnages
- Du pur polar comme on l'aime

LES POINTS FAIBLES

-

 

4.5

Un bijour de polar !

Conclusion

Un nouvel opus du duo Brubaker/Phillips qui monte encore d’un cran par rapport aux précédents. On y retrouve tout ce qui fait le génie de cet univers de Criminal, avec un format permettant de travailler encore mieux les personnages et la narration. Un bijou de polar.