[Review VF] Midnight Nation

[Review VF] Midnight Nation

Il est des séries légères, confortables, qui délassent et mettent de bonne humeur après une dure journée de labeur. Et il en est d'autres, sombres, sans concession, qui vous prennent à la gorge et ne vous lâchent pas. Midnight Nation fait partie de la deuxième catégorie. Si vous aimez les œuvres fortes écrites avec des tripes, soyez les bienvenus dans la nation de minuit.

 


Joseph Michael Straczynski est arrivé en 1999 dans le monde des comics avec une réputation flatteuse gagnée dans l'audiovisuel (Babylon 5, c'était lui). Sa première incursion dans le 9e art, Rising Star, se voulait très ambitieuse. Sans doute un peu trop car, malgré des qualités certaines, la maxi-série de 24 épisodes n'a pas totalement convaincu. Mais Stracz a persévéré et proposé un deuxième concept à son éditeur Top Cow : Midnight Nation. S'inspirant de son vécu, il a développé l'histoire d'un voyage sans lumière où seules la peur et l'angoisse vous tiennent compagnie. Dès la première page, l'atmosphère glauque et pesante nous fait comprendre que nul humour ne viendra atténuer la noirceur du propos. Pourtant, l'intensité du récit nous pousse à tourner les pages sans discontinuer, à nous plonger toujours plus profondément dans cet univers malsain. 

 

David Grey, un flic menant une vie terne, mène une enquête sur un homicide dans une ambiance qui n'est pas sans rappeler Seven, le chef-d'oeuvre de Fincher. Soudain, au détour d'une page, le polar se teinte d'horreur, l'irrationnel émerge, la terreur jaillit, les événements se précipitent. David Grey se réveille à l'hôpital mais personne ne semble l'entendre ni le voir, à l'exception d'une inconnue qui dit s'appeler Laurel. Cette dernière lui explique qu'il s'est fait voler son âme et l'aide à trouver des réponses. Piégé dans l'entre-deux, un plan de l'existence où finissent toutes les personnes et les choses oubliées, notre flic décide d'entreprendre un périple aussi dangereux physiquement que moralement pour récupérer son âme et son existence antérieure.



 

Comme dans toutes les quêtes initiatiques, le chemin se révèle au moins aussi important que la destination finale. Mais Stracz ne se contente pas d'un voyage intérieur, d'une introspection de l'âme des protagonistes : il nous propose une véritable réflexion sur notre société et ses failles qui engloutissent littéralement les laissés-pour-compte. Pour autant, le scénariste évite l'écueil de négliger l'intrigue et maintient la tension tout le long du volume. Entre les marcheurs (les créatures qui terrorisent l'entre-deux) et l'inéluctabilité de son destin, aucun répit n'est accordé à David ni aux lecteurs. En 12 épisodes, Straczynski s'impose comme un auteur majeur et nous livre une oeuvre aux qualités narratives certaines.
 

Hélas, la perfection n'est pas de ce monde et ne saurait non plus trouver sa place dans l'entre-deux. On pourra ainsi regretter que les allusions bibliques, discrètes dans les premiers épisodes, finissent par devenir centrales lors de la conclusion. Certes, le thème de la religion est à la fois logique et abordé avec intelligence, il n'y a donc pas de quoi crier au scandale. Cependant, il était possible de parvenir à la même conclusion en se montrant moins explicite. Un peu plus de subtilité et une fin plus noire aurait permi de hisser ce comic book au rang d'indispensable.

 


 

Avec cette intrigue, il est surprenant que Stracz n'ait pas choisi à un dessinateur au style sombre, oppressant et jouant sur la suggestion comme Ben Templesmith sur Fell. Au contraire, il s'est octroyé les services d'un habitué des récits super-héroïques et lumineux, au trait précis et détaillé, le talentueux Gary Frank. Ce choix surprenant au premier abord s'avère pourtant parfaitement judicieux. Sa mise en page sobre se met complètement au service de l'histoire et ne vient jamais parasiter la lecture. Son style réaliste et ses planches dénuées d'artifice exposent sans fard une réalité froide et impitoyable, une vérité crue et dérangeante. Gary Frank, qui a généralement du mal à rendre ses visages expressifs, s'est ici appliqué à retranscrire parfaitement les émotions des personnages. Mais son plus bel exploit reste les marcheurs qu'il a su rendre véritablement terrifiants. C'est donc un sans faute pour l'artiste qui a su transformer ses faiblesses en atouts.

 

Midnight Nation est donc une réussite à tous les niveaux. A un si beau bijou, il fallait bien un écrin à la hauteur. C'est chose faire avec cette édition proposée par Delcourt. Ce volume comprend non seulement l'intégralité des 12 épisodes et des couvertures originales mais aussi un récit annexe dessiné par Michael Zulli (qui souffre de la comparaison avec le trait acéré de Gary Frank) et une postface très instructive du scénariste.
 


Straczynski est arrivé avec fracas dans l'univers des comic-books. Bien avant Thor et Spider-Man , il a montré avec Midnight Nation qu'il pouvait écrire des œuvres puissantes, intelligentes et passionnantes. Si ce récit ne peut pas prétendre au rang d'incontournable, elle n'en reste pas moins excellente à tout point de vue. A dévorer.

 

[onaime]- L'un des meilleurs scénarios de Stracz
- Un graphisme parfaitement maîtrisé
- De nombreuses pistes de réflexion
- Une édition soignée[/onaime][onaimepas]- Une fin qui aurait pu être plus intense
- La religion trop présente[/onaimepas][conclusion=4,5][/conclusion]  

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