[Spécial Walking Dead] Walking Dead, de l'ombre à la lumière

[Spécial Walking Dead] Walking Dead, de l'ombre à la lumière

Nous sommes en 2003 et le monde des comics se remet à peine des conneries des années 90 qui ont failli couler Marvel. Cette dernière est doucement en train de reprendre du poil de la bête avec les labels MAX, Marvel Knights ou des runs comme Morrison sur New X-Men et Bendis sur Daredevil . Toutefois, il faudra vraiment attendre 2005-2006 pour voir les Big Two enclencher un cycle commercial et éditorial qui va propulser les comics au firmament de la culture mondiale, phénomène conclu par les adaptations cinématographiques.
 


 

A l'origine, Walking Dead est loin d'être un projet classique, encore moins attendu. Une série en noir & blanc avec un flic dans un monde de zombies, c'est loin du monde des super-héros. Quant aux artistes, ils sont des artistes loin d'être célèbres, Kirkman et Tony Moore n'ayant produit comme succès que Battle Pope jusqu'à lors, un succès critique surtout. Enfin, l'éditeur, Image Comics, a perdu de sa superbe depuis quelques années. A sa sortie, Walking Dead n'est qu'une nouveauté parmi tant d'autres qui mettra des années avant de s'imposer.

 


En effet, au niveau critique, l'Eisner Award n'est remporté qu'en 2010, même si les bonnes critiques s'accumulent depuis les débuts. Néanmoins, n'oublions pas qu'en terme de buzz, il faut vraiment attendre la diffusion de la série TV pour voir des articles pulluler. Les spéculateurs s'arrachent les comics où chaque personne fait sa première apparition et les fans se manifestent enfin par milliers sur les forums. La série n'est plus un bon comics indé parmi tant d'autres mais LA série à suivre.

 


 

La communication autour de la série s'est accéléré au fils des ans, notamment à la fin de l'arc sur la prison et le gouverneur, véritable tournant qui va choquer les lecteurs, faisant de l'oeuvre une série où tout peut arriver. C'est la même chose pour les ventes : elles ne sont pas folles au départ mais vont lentement augmenter, au point d'éclipser le succès d'Invincible, la série phare de Kirkman à l'époque, série dont plus personne ne parle désormais alors que le scénariste tente tout pour relancer le buzz . Avec un début autour des 8 000 exemplaires (bien loin du comics Saga aujourd'hui par exemple, mais l'époque à changer aussi), les ventes progressent d'années en années. Après des années autour des 30 000 unités, un très très bon score pour un comics indépendant, la série a franchie un nouveau pallier une fois l'adaptation TV installée dans le cœur du public. Désormais, chaque numéro se vend entre 60 et 70 000 exemplaires, dans le top 25 des ventes de comics US (avec des pointes historiques comme le lancement du dernier arc, premier du top 300 avec plus de 300 000 copies écoulées).
 

 

L'analyse des chiffres de vente fera l'objet dans un autre article dans cette semaine spéciale Walking Dead, mais le vrai succès de la série n'est pas mensuel. Non, le vrai succès de la série vient de la vente d'albums. En effet, Walking Dead est une vache à lait pour Image (et Delcourt). Chaque mois, plusieurs album squattent le Top 10 BD aux USA, notamment le numéro 1, vendu à 9$99, un prix très attractif pour essayer une nouvelle série. La série a développé son lectorat en gagnant des fans non initiés aux comics, avec un bouche à oreille phénoménale.

 


 

Walking Dead est une oeuvre symbolique du phénomène zombie dans la culture populaire actuelle. Depuis quelques années, chaque média apporte son lot d'oeuvres plus ou moins marquantes. Le jeu vidéo (Left For Dead, Dead Island, Dead Rising, renouveau de Resident Evil) et le cinéma (Bienvenue à Zombieland, Shaun of The Dead, 28 Jours plus Tard) ont notamment surfé sur cette vague mais le comic-book Walking Dead est un des précurseurs du nouvel intérêt pour ces monstres, comme Twilight avec les vampires. Ce sont des modes qui vivent par cycles, qui prendront fin bientôt et qui vont resurgir dans quelques années.

 


 

Là où le phénomène Walking Dead étonne, c'est qu'il est issu de la bande dessinée qui n'est pas vraiment le média dominant aux USA. Il s'inspire de ses glorieux aînés (les films de Roméo, les romans décrivant la survie dans un monde post-apocalyptique ) tout en profitant du format atypique du comic-book. Avec une publication mensuelle dénuée des contraintes budgétaires qu'ont les films ou les séries TV, Walking Dead aurait pu jouer la carte de la surenchère visuelle. Néanmoins, son scénariste, Robert Kirkman, s'évertue à raconter l'histoire d'une famille, celle d'un policier qui veut à tout prix offrir un avenir à son fils malgré l'apocalypse qui s'est abattue sur eux. Si la menace de se faire mordre n'est jamais ignorée, les héros doivent surtout se méfier des autres survivants qui n'ont pas toujours la même vision des règles à appliquer pour survivre.

 


 

Ainsi, en utilisant un représentant de l'ordre dans un monde qui n'en a plus, Kirkman se demande si les règles créées par la société ne sont pas un fardeau pour la survie. Quant je déclare que Walking Dead est un des précurseur de cette mode des zombies, je ne nie pas le fait que ce n'est pas le pionnier du genre dans le monde des comics. Cependant, cette oeuvre a su dépassé son industrie pour devenir un phénomène globale.

 


 

Franchement, qui parmi ceux que vous connaissez et qui regarde la série TV Walking Dead a déjà lu un comic-book ? La grande majorité des spectateurs ne l'a jamais fait et bon nombre ne connaît même pas l'origine de cette oeuvre. C'est la magie de la télévision, se réapproprier une oeuvre (même si le scénario s'éloigne franchement du comics en étant moins sombre et plus survival). Avec Walking Dead, Image Comics propose aux lecteurs une série mensuelle réaliste sur l'univers des zombies. C'est une énorme différence avec le reste de la production comics, centré sur l'horreur pur (hérité des films des années 70-80), l'humour (comme Fanboys vs Zombies, les geeks en héros) ou la science-fiction (robots vs zombies).
 


 

Walking Dead, c'est un drame mais aussi une aventure humaine qui s'attarde sur les émotions, les liens entre chaque individus et les choix à faire pour survivre. Ce n'est pas le combat qui compte, ce n'est pas la menace qui compte, c'est d'abord le choix que va faire le héros, Rick. Or Rick est humain, donc faillible, ce qui le rapproche de nous. Avec Walking Dead, nous suivons un groupe d'humains dont nous pourrions faire partie si un jour un tel malheur arrivait. Kirkman n'a aucunement l'intention de trouver un remède au virus ou de sauver le monde. Il s'en fout, ce n'est pas le propos. La survie n'est pas liée à la force, au stock d'arme ou à la taille du groupe mais à la confiance qu'à chaque personnage en ses camarades. Jusqu'à Negan bien sûr...

 


 

L'horreur est souvent oubliée dans la série pour nous surprendre au bout de 10 épisodes tant nous étions concentrée sur la vie du groupe. C'est en cela que Kirkman réussit son pari et fait de son oeuvre un manifeste de la société du 21ème siècle. Rick est persuadé que seul le groupe permettra à chacun de survivre. Et, dans un sens, Walking Dead a permis à Image Comics de survivre en lui redonnant des couleurs par ses ventes exceptionnelles.

 

 

Tout le monde connaît l'histoire de la fondation de Image Comics. Pour faire très très simple, une bande de dessinateurs de Marvel ont claqué la porte au début des années 90 pour fonder leur propre studios de comics et surtout éditer leurs propres séries. Le problème, c'est que ce sont des stars comme Jim Lee, Liefeld et Todd McFarlane qui se sont barrés, et les lecteurs ont suivi. Avec pas moins de 6 studios internes, Image Comics devient le graal des fans en 1992. Les premières ventes sont énormes, des personnages émergent (Spawn, Savage Dragon, Youngblood, Wildcats) dans la scène comics et un vrai challenger attaque enfin les Big Two. Malheureusement pour Image Comics, des problèmes de management et de production vont plomber les séries et les lecteurs, au tournant du millénaire, vont abandonner le navire alors que la crise touche sévèrement l'industrie (Marvel a évité la faillite de peu, ce qui est inconcevable aujourd'hui). Pendant ce temps-là, Dark Horse fait du très bon travail avec quelques franchises de qualités alors que IDW rafle plusieurs licences juteuses.

 


 

Image Comics se retrouve harcelé par les autres petits éditeurs sans pour autant pouvoir vraiment concurrencer les Big Two : l'éditeur est pris à son propre jeu. Jim Lee a vendu son univers/studio Wildstorm à DC, les autres créateurs ne sont plus que des légendes et les séries ne se vendent plus. Il y a bien sûr des dizaines de projets innovants et de qualités qui sont publiés dans les années 2000 mais, comcommercialement, Image Comics ne fait plus le poids. C'est là que Robert Kirkman entre en jeu. Fort de son succès avec Invincible (considéré comme le super-héros du 21ème siècle) et de son hit en puissance Walking Dead, le scénariste va faire un tour chez Marvel et en revient très vite après des épisodes sur Ultimate X-Men ou Spider-Man.

 


 

L'expérience se passe mal et Kirkman s'érige en porte-étendard des artistes indépendants, publiant un manifeste poussant les artistes à quitter les Big Two. Fils spirituel des fondateurs d'Image Comics, il est nommé en 2008 associé au sein de la direction de l'éditeur et il va reprendre en main le business. Il créé son propre studio comme les fondateurs (studio édité par Image Comics donc) et va militer pour recruter de nombreux artistes qui voient en Image un eldorado créatif.

 


 

La fin des années 2000 est ainsi marquée par une prise de conscience des artistes. En effet, bon nombre d'entre eux arrivent à « maturité professionnelle » et souhaitent s'émanciper des Big Two, comme leurs aînés dans les années 90 (qu'ils avaient remplacer à l'époque). C'est un phénomène naturel et des stars comme Warren Ellis et Mark Millar vont carrément mettre en parenthèse leur travaux chez Marvel et DC pour s'amuser dans leur coin. D'autres comme Garth Ennis ou Bendis joueront sur les deux tableaux. Jusque là, rien ne change, les artistes les plus célèbres peuvent désormais vendre des comics sur leur nom et non plus grâce à la notoriété du personnage. Il y a de nombreux éditeurs pour les accueillir. Toutefois, la prise de conscience est plus profonde et dépasse le cadre de la liberté éditoriale.

 


 

Avec le succès indécent des films Marvel, le monde entier prend conscience du trésor qui se cache dans chaque personnage. Chaque série ou franchise peut déboucher sur un film, or les Big Two ont verrouillé les contrats (Superman, Kirby et Watchmen sont des exemples parfaits). A quoi bon mettre ses meilleures idées dans des histoires dont on ne maîtrise ni la publication, ni les recettes ? C'est donc l'essor du Creator Owned, un phénomène vieux comme l'industrie mais jusqu'à lors marginalisé commercialement : tu créé ta propre série et assume les ventes toi même. Image Comics avait développé ce concept mais la chute de l'éditeur a fait revenir les artistes chez les Big Two qui ont une puissance commerciale et une capacité de production incomparable. Ce n'est plus le cas car désormais, de nombreux artistes se font un nom parmi les indés et non plus sur des one-shots ou mini-série pourries de Marvel et DC. C'est alors plus facile pour eux de rester chez les indés en parallèle de leur travail chez les majors. C'est le parcours suivi par Robert Kirkman.

 


 

D'autres comme Millar ont le droit à un contrat spécial, offert dans le cadre du label Icon, pour conserver les droits et recettes tout publiant sous l'égide de Marvel. Dans cette course au concept adaptable au cinéma, le modèle économique d'Image Comics redevient attractif. Pourquoi Happy de Grant Morrison ou Jupiter Children de Millar ne se font pas chez les Big Two ? C'est plus simple (pas de contrôle) et plus lucratif de le faire chez Image Comics. C'est aussi plus logique au vu des thèmes abordés mais il semble que Marvel et DC acceptent de plus en plus de produire des histoires matures. Image Comics est redevenu le paradis pour des artistes qui rêvent de reproduire le succès de Kirkman, l'une des voix les plus audibles de l'industrie, mais aussi un artiste qui a su faire fructifier sa licence en dehors du média comics. Tout le monde n'a pas le droit de publier ses oeuvres chez Icon ou Vertigo, l'exode chez Image Comics est donc la meilleure solution. On a ainsi chaque mois de nouvelles séries ou mini-série chez cet éditeur car de nombreux artistes tentent leur chance, en espérant décrocher le jackpot.

 

 

Désormais, les ventes décollent et Image Comics peut enfin se détacher de ses poursuivants. S'il semble impossible de rattraper les Big Two (à cause de l'absence d'univers partagé, ce qui a donné lieu au projet Image United qui a foiré, merci les fondateurs), on peut raisonnablement penser que Image Comics va s'imposer comme LE moyen de lire des comics originaux dans le futur. Marvel et DC se battent pour les nouveaux lecteurs, Image Comics en profite pour se différencier. Si l'overdose de super-héros pointe son nez, Image offre déjà des univers bien différents. On espère juste que le management ne refera pas les mêmes erreurs et conseillera intelligemment les artistes.

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  • K'Ian
    K'Ian

    il y a 10 ans

    Très bonne article qui me donne vraiment envie de me mettre à Walking Dead (oui, j'ai 4 saisons et 19 tomes de retards) ^^.

  • Comicsfan
    Comicsfan

    il y a 10 ans

    Oui un très bon article plaisant et intéressant à lire.