Scénario : J. Michael STRACZYNSKI
Dessin : Ben TEMPLESMITH C.P SMITH
Couleurs : Ben TEMPLESMITH C.P SMITH

Suivez la descente aux enfers de Joe Fitzgerald, un ancien homme de main de la mafia, qui se retrouve pris au milieu d'une nouvelle guerre, entre les forces du Bien et du Mal, dans laquelle le Paradis est menacé. Est-ce qu'un homme prêt à mourir des milliers de fois pour revoir son amour perdu, juste quelques minutes, peut sauver le monde ? Et vous, que seriez-vous prêt à faire par amour ?
(contient Ten Grand #1-6)

  • Julien
    Julien Staff MDCU

    il y a 10 ans

    Une petite pépite assez inattendue nous vient du duo qui allait forcément faire des étincelles, JMS/Templesmith. J'ai démarré cette série sans grande conviction et je me suis retrouver devant un ovni, mêlant surnaturel, violence et romance dans un cocktail explosif et totalement addictif. L'ambiance est assez géniale et on passe de moments très touchants à d'autres assez violents et jouissifs en quelques pages. Je recommande fortement.

Après avoir oeuvré pendant de nombreuses années chez Marvel et DC, Straczynski revient aux comics indépendants. Pour la première fois depuis longtemps, il est complètement libre d'écrire ce qu'il souhaite. Et si le maître n'a rien perdu de son talent de conteur, force est de constater qu'il n'a pas cherché l'originalité. Est-ce dans les vieux pots que Straczynski fait ses meilleures confitures ? C'est ce que nous allons essayer de deviner.
 
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Straczynski, un scénariste maudit


Pour mieux comprendre les enjeux derrière cette série et le retour du label Joe's Comics, il n'est pas inutile de faire une rapide rétrospective de l'oeuvre du scénariste. Fort de la réussite de sa carrière audiovisuelle (Babylon 5, c'était lui), Stracz (oui, c'est plus simple d'utiliser son surnom et cela évite d'écorcher son patronyme) est accueilli à bras ouverts par Top Cow qui créé un label à son nom (Joe's Comics). Son premier titre, Rising Stars crée l'événement et est aussitôt comparé à Watchmen. Même si la comparaison ne se jusitife pas, le titre ambitieux consacre son auteur. Son deuxième titre, Midnight Nation, confirmera l'essai et lui vaudra des avances de la Maison des Idées qui lui confiera rien de moins que les rênes de son héros fétiche : l'étonnant Homme-Araignée. En quelques épisodes, Stracz redore le blason d'un Spidey en déshérence scénaristique. Le tisseur retrouve les sommets artistiques et commerciaux pendant tout le run de l'auteur malgré quelques sagas contestables. Hélas, la fin de son parcours sera moins glorieuse au point qu'il refusera de signer de son nom les derniers épisodes que Quesada lui a imposés. Bien que non responsable des décisions éditoriales qui ont plombé la conclusion de son run, Stracz sera désormais hanté par une malédiction : il n'arrive presque jamais à terminer ses projets correctement. Vous souhaitez des exemples ? Rising Stars a connu bien des déboires et ne s'est achevé qu'après d'innombrables changements de dessinateurs, Supreme Power fut laissé en plan par l'auteur. Ses runs sur Thor, Superman et Wonder Woman furent interrompus pour cause de divergences éditoriales (interactions non souhaitées avec les crossovers, reload effaçant tout son travail...), Même The Twelve mit des années avant de connaître une conclusion... Autant dire que, malgré son incontestable talent, Stracz a beaucoup à prouver avec ce retour. Ce n'est donc sans doute pas un hasard s'il revient écrire sous son label Joe's Comics chez Image (Top Cow étant dans le giron de cet éditeur). En revenant aux sources et en développant une gamme de titres dont il possède les droits, il s'affranchit de toute contrainte éditoriale et réunit toutes les conditions d'un retour triomphal. Ou pas.
 
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Un comic book sous influence


Pour le premier titre de la nouvelle mouture de Joe's Comics, Stracz s'éloigne des standards du mainstream en s'adjoignant les services de Ben Templesmith, dessinateur connu pour avoir travaillé sur des oeuvres très sombres comme 30 jours de nuit. On retrouve donc dans Ten Grand l'univers graphique de Templesmith mais pas seulement. Le concept du bouquin peut se résumer en quelques mots : un homme conclut un pacte faustien pour retrouver l'amour de sa vie par delà la mort. Il se retrouve soldat dans une guerre entre les anges, créatures manipulatrices qui n'ont d'angéliques que le nom, et les démons qui sévissent parfois sur Terre. Cela a comme un air de déjà-vu ? Si vous avez lu Spawn et Hellspawn, la filiation est évidente. Mais le comic book de McFarlane n'est pas la seule source d'inspiration du scénariste. Un héros désabusé enquêtant dans un environnement urbain sinistre, dans une ambiance lourde sans aucune perspective d'espoir ? Fell viendra aussitôt à l'esprit des lecteurs qui auront découvert ce chef-d'oeuvre. Or, Hellspawn et Fell ont également pour point commun d'avoir comme dessinateur... Ben Templesmith. Le choix de Stracz pour la partie graphique n'a donc rien d'innocent. Mais les sources de l'auteur ne se limitent aux seules séries de son dessinateur. Un enquêteur du paranormal cynique usant de sorcellerie vous rappellera forcément Hellblazer... et même Hellboy dans l'utilisation d'un arsenal d'armes magiques. Au point que toutes ces références commencent à faire beaucoup. Stracz ne serait-il qu'un simple plaigiaire ? Ce raccourci serait profondément injuste. D'abord, dans la fiction en général et dans les comics en particulier, tout le monde s'inspire de tout le monde et rares sont les séries dont le concept de base ne ressemble pas à au moins trois autres titres. C'est bien souvent sur le traitement du concept et non sur le concept en lui-même que les auteurs impose leur style ou leur griffe. Ensuite, il existe une autre source d'inspiration pour Stracz (oui, encore une autre) qui légitime totalement sa démarche : Midnight Nation qu'il a lui-même scénarisé lorsqu'il travaillait sous la première mouture de Joe's Comics. En proposant une variation sur un thème qu'il a exploré précédemment (dans le cas présent, l'entre-deux mondes : un purgatoire où la rédemption et l'espoir semblent hors de portée), il s'inscrit dans la démarche de très nombreux artistes : explorer un même thème sous différents angles. Reste à savoir si cette oeuvre justifie donc d'approfondir une thématique maintes fois traitée.

 

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Un récit d'enfer


Dès la première page, Stracz veut frapper fort. Quatre images. Quatres cases horizontales. Un rêve splendide, l'amour, un problème, le retour à une réalité implacable. La fin de tout espoir nous est infligée dès la première planche. Après avoir assené son premier uppercut, l'auteur nous dévoile progressivement la nature de l'anti-héros (Joe Fitzgerald) et son histoire : un assassin méthodique, froid et cynique qui ne mérite pas l'amour que sa femme lui offre. Mais cet homme aime infiniment sa femme en retour, la seule personne à avoir illuminé sa vie. Sa  femme qui est désormais morte. Et le voici prêt à tout, même l'impensable, pour la retrouver ne serait-ce qu'un instant. Cette trame ultra-classique arrive à se distinguer des innombrables tragédies qui l'ont précédée en jouant habilement sur le contraste entre la nature a priori irrécupérable du protagoniste et la pureté de sa motivation. Et parce que notre homme de main est au-delà de la rédemption, il n'hésite pas à tuer et à s'infliger un destin épouvantable pour partager un infime instant de bonheur. Comme dans tout bon drame, le lecteur n'espère aucunne issue positive. Mais l'ambiance poisseuse et désespérée empêche même la beauté du sacrifice de Joe Fitzgerald de transparaître. Utilisant une narration chronologiquement destructurée, Stracz dévoile par petites touches le destin qui a transformé cet homme de main antipathique en enquêteur du paranormal. Malgré certains clichés dont on se serait passé, il faut avouer que Stracz est un excellent narrateur qui retient son lecteur captif dès la première page. Saluons son savant dosage de monologues installant une atmosphère oppressante et de coups de théâtre. Ten Grand s'impose d'emblée comme une oeuvre passionnante à l'ambiance lourde et aux couleurs glauques qui tranche avec les précédent récits bien proprets du scénariste.

 

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La malédiction Stracz a encore frappé


Si Ten Grand atteint une telle noirceur, c'est en grande partie dû au talent de Ben Templesmith. Son style très éloigné du mainstream participe également fortement à cette réussite. L'artiste se montre fidèle à lui-même dans ce titre : ses rues sont mal famées et crasseuses et ses personnages inquiétants malgré ou à cause de leurs traits caricaturaux. Son crayon, volontairement irrégulier, refuse tout compromis esthétisant. Les lignes droites se tordent, débordent ou finissent inachevées, faisant écho à l'état de délabrement de la vie de Joe Fitzgerald. Et la colorisation numérique apporte une texture malsaine qui parachève le sentiment de malaise qui nous saisit à la lecture des planches. Seuls quelques coups de crayon incertains distinguent les visages du décor, les masses de couleurs informes immergeant les protagonistes dans leur environnement répugnant. Si le mot ne semblait pas si inapproprié dans ce cadre, on pourrait louer l'harmonie entre l'histoire et l'illustration. Hélas, après 4 numéros, la poisse qui colle à Stracz se manifeste à nouveau. Pour une fois qu'aucun éditeur n'est à l'origine d'un casus belli, c'est Ben Templesmith qui ne peut tenir ses délais. Le scénariste, pas fâché mais déterminé à ne pas laisser son comics en plan à cause du dessinateur, lâche son compagnon pour aller dégoter son successeur. Ce sera C. P. Smith, un artiste de talent mais au style radicalement différent de celui de son prédécesseur. Comme son grand frère Rising Stars avant lui, Ten Grand subit une rupture graohique aussi flagrante que malvenue. Seules consolations, la dernière page de l'épisode 4 offre une transition entre les deux styles et le changement de cadre du récit justififie vaguement le passage à un autre univers graphique. Smith a beau utiliser lui aussi une mise en couleur numérique avec des effets de texture comme Templesmith, le rendu est beaucoup moins convaincant. L'utilisation maladroite et abusive d'effets visuels aseptise complètement l'univers organique mis en place par son prédécesseur. Pire, cela donne par moment l'impression de lire les premiers et repoussants comics réalisés par ordinateur à la fin des années 80. Où est donc passé le talentueux dessinateur qui mettait en scène les sombres ruelles de la gamme Marvel Noir ? Si on ne peut reprocher à C.P. Smith de vouloir changer de style, force est de constater que le rendu de ses dessins par ordinateur est calamiteux. Et la comparaison avec son prédécesseur s'avère peu flatteuse. Décidément, quand Stracz touche à une série, ça se termine toujours mal à un niveau ou à un autre. Dommage, car son scénario méritait mieux.
 
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Premier d'une série de titres écrit par Stracz en creator owned, Ten Grand se trouvait dans la situation inconfortable de devoir donner le la. La crédibilité du retour du label Joe's Comics et même de Straczynski reposait sur ce titre. Refusant la sécurité, le scénariste a choisi une histoire lugubre avec un parti pris artistique très éloigné de ce qu'apprécie son lectorat issu de Marvel ou DC. Le pari était osé mais Stracz l'a remporté haut la main. Reste à attendre la conclusion de l'histoire dans le deuxième volume pour savoir si la qualité du récit nous fera oublier le changement inopportun de dessinateur.

[conclusion=4][/conclusion][onaime]- Stracz en pleine forme
- Templesmith et son univers visuel
- une ambiance sombre et poisseuse à souhait[/onaime][onaimepas]- le changement de dessinateur
- les emprunts à d'autres séries[/onaimepas]