Scénario : Ed BRUBAKER
Dessin : Sean PHILLIPS
Couleurs : Dave STEWART

Les jours noirs de la Grande Dépression, les secrets du Moyen-Âge, les plaines hantées du Far West, et les ruines de la Seconde Guerre mondiale... Ce troisième tome regroupe quatre récits d'horreur qui, liés telles les pièces d'un puzzle, reconstituent le mystère de la Femme fatale. Du grand polar noir et terrifiant par deux génies du crime : Phillips & Brubaker.
(contient Fatale #11-14)

  • AfA
    AfA Staff MDCU

    il y a 10 ans

    4 histoires indépendantes et très plaisantes à lire, qui permettent d'approfondir le mythe à travers les époques. Cependant, l'intrigue n'avance pas et on n'échappe pas à un certain côté répétitif du concept. Rassurez-vous, ça reste des coudées au-dessus de la production actuelle.

Après les débuts triomphaux de Fatale (4 impressions pour le premier épisode, une palanquée de nominations), les inséparables Ed Brubaker et Sean Phillips décidèrent de transformer ce qui était prévu comme un récit en 12 épisodes en une série illimitée. Avec ce troisième tome, nous dépassons donc l’épisode 12 et les limites initialement prévues. Les deux compères ont-ils pu développer plus en profondeur leur univers horrifique ou se sont-ils contentés d’allonger la sauce pour des raisons bassement commerciales ?
 
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Si vous connaissez la paire Brubaker-Phillips (Sleeper, Criminal, Incognito…), vous savez que personne ne les égale pour livrer des polars désespérés, qu’ils se déroulent dans l’univers super-héroïque ou dans la réalité. Forts de leurs succès commerciaux et critiques et d’une horde grandissante de fans, ils ont quitté les majors pour lancer chez Image leur nouvelle œuvre : Fatale. Pour ceux qui prendraient le train en marche, le titre Fatale est un hommage à la femme fatale, cette figure incontournable de la littérature et du cinéma. Sauf que, si le personnage central, la sublime et venimeuse Josephine, est bien la représentation archétypale de la femme attirant irrésistiblement les hommes jusqu’à leur perte, elle évolue dans un monde inspiré par les œuvres de H.P. Lovecraft

Après deux volumes où les lecteurs ont découvert Jo fuyant ses adversaires ces dernières décennies, les auteurs décident de dévoiler certains aspects de leur sombre mythologie dans 4 récits indépendants situés à diverses ères. Si ces épisodes sont effectivement des one shots, il ne s’agit pas pour autant de portes d’entrée idéales pour le néophyte car ils impliquent une connaissance du concept de la série pour être pleinement apprécié. Dans chacune des 4 histoires, une femme se retrouve victime d’une malédiction et d’une secte qui la poursuit. Ce choix narratif permet à Brubaker de nous montrer que Josephine n’est pas la première à porter ce lourd fardeau et que les horribles monstres à ses trousses sévissent depuis de nombreux siècles. Or, les caractéristiques de cette malédiction ont déjà été présentées et les auteurs nous ont déjà emmenés à plusieurs époques. Nous sommes donc en droit de nous interroger sur l’intérêt d’avoir prolongé la série si c’est pour reproduire avec de légères variations le contenu des volumes précédents. L’étude de chaque épisode nous apportera quelques éléments de réflexion.
 
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Dans le premier chapitre, on découvre une Josephine plongée dans les années 30, moins expérimentée et à la recherche de réponses. Le schéma narratif y est exactement le même que celui des arcs précédents mais une touche d’originalité salvatrice donne du sel à cette resucée. Cette saveur nouvelle est dû à la présence dans l’histoire d’un écrivain nommé Ravenscroft. A travers une très belle métafiction, Brubaker rend hommage à la plus évidente de ses inspirations, H.P. Lovecraft. Et, pour le reste des ingrédients, nous avons droit au cocktail habituel : une ambiance sombre, une tragique inéluctabilité et un regard furtif vers les horreurs abyssales qui se cachent dans ce bas-monde… Bref, cet épisode est une réussite qui apporte tout ce qu’on peut attendre de la série… à défaut de révélation.

Le deuxième récit nous plonge dans la France médiévale et nous apprend que Josephine n’était pas la première femme maudite. L’intrigue que nous suivons habituellement n’est donc que la dernière péripétie d’un drame qui se reproduit depuis plus d’un millénaire. Mis à part ce point que l’on pouvait subodorer, cet épisode n’apporte aucun élément remarquable et ne justifie même pas son existence par ses qualités intrinsèques. Pas mauvais mais sans intérêt, sauf peut-être pour les amoureux de Blanche Neige.
 
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L’avant-dernier chapitre se déroule au Far West. Décidément, Brubaker semble décidé à ne nous épargner aucun poncif. Quelle sera la prochaine époque visitée ? La seconde guerre mondiale avec la secte sévissant chez les nazis ? Heureusement, passé la déception due à une rafale de déjà-vu (une affiche Wanted, une femme hors-la-loi s’appelant Bonnie…), on vole de surprises en rebondissements, avec des personnages complexes et (enfin !) originaux. Aucun nouveau pan de la mythologie du titre ne nous sera dévoilé mais cela n’a aucun importance : la peur naît de l’inconnu et les mystères n’ont d’intérêt que tant qu’ils ne sont pas percés. Un sans-faute avec en prime une conclusion inhabituelle pour la série.

L’ultime volet de ce tome se déroule cette fois… pendant la seconde guerre mondiale. Avec la secte infiltrée chez les nazis… Cessons les sarcasmes car, au-delà du cliché, la place des forces occultes dans l’armée nationale socialiste est complètement justifiée par l’existence de l’ordre de Thulé.  Pour ceux qui l’ignorent, l’ordre de Thulé était une société secrète allemande s’intéressant à l’occultisme et qui inspira le nazisme. La référence de Brubaker à Thulé prend une dimension paratextuelle évidente lorsque l’on sait qu’un écrivain du nom de Ravenscroft (patronyme donné par Brubaker à son écrivain inspiré de Lovecraft dans le premier épisode) était l’auteur d’un livre, La lance du destin, consacré à la société de Thulé et à l’occultisme nazi. Bref, Brubaker transforme le cliché en mise en abyme aussi étourdissante qu’érudite… même si Mignola l’avait précédé dans la création d’un lien entre un univers lovecraftien et Thulé (Hellboy - Les germes de la destruction). Rassurez-vous, cet exercice de style aussi subtil que discret ne vient aucunement alourdir la lecture de cet épisode. Comme d’habitude, on suit la sempiternelle trame dans laquelle Josephine affronte ses ennemis, déclenche l’amour chez un homme et tente d’échapper au sinistre destin qu’on lui promet. On serait tenté de dire rien de neuf sous le soleil (ou sous la pleine lune) mais quelques détails distillés au détour d’une page nous en apportent un certain nombre d‘éclaircissements bienvenus.
 
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Si l’aspect scénaristique de ce volume peut prêter le flanc à la critique, la partie graphique est irréprochable. Sean Phillips a depuis longtemps atteint la maturité artistique qui lui permet d’enchaîner des planches parfaitement maîtrisées. Les escapades auxquelles il nous invite permet de le voir illustrer autre chose que des environnements urbains. Tout en conservant son style, il nous gratifie de splendides mesas et d’un monastère très mignolesque (décidément, son influence se retrouve à tous les niveaux). On le sent  moins à l’aise avec les forêts même s’il s’en sort honorablement. Après tout, on lui demande plus d’exceller dans l’horrifique que dans le bucolique. Et, pour cela, il peut compter sur le soutien sans faille du génial Dave Stewart, coloriste multi-primé et connu pour son travail sur Hellboy (tiens donc) dont la palette sobre et sombre participe fortement à l’ambiance oppressante du titre.

En rendant la série illimitée, Brubaker et Phillips souhaitaient approfondir cet univers intriguant. Hélas, ce tome, résultat de cette volonté exploratrice, montre que le pari n’est qu’à moitié gagné. Certes, Brubaker est un excellent narrateur et ses histoires se dévorent toujours avec autant de bonheur. Mais la sensation de tourner en rond qui saisit le lecteur si tôt après le lancement du titre n’est pas de bon augure. Les auteurs semblent l’avoir compris d’eux-mêmes et se sont ravisés en concluant leur saga au 24e chapitre. Cette inquiétude dernière nous, nous pouvons sereinement apprécier ce volume à sa juste valeur et l’accepter pour ce qu’il est : une déclinaison du concept de la série à travers les âges dont la récurrence des thématiques abordées permet au lecteur d’appréhender la nature d’un cycle appelé à se perpétuer sans fin. Aussi agréable que soit cet interlude temporel, on attend désormais fermement la suite du récit dans le prochain volume. 

[onaime]- Brubaker, Phillips et Stewart toujours au sommet
- Un hommage réussi à Lovecraft
- Plusieurs niveaux de lecture
- La qualité indéniable de certaines histoire[/onaime][onaimepas]- Le côté répétitif des variations sur le même thème
- L'intrigue n'avance pas[/onaimepas][conclusion=3,5][/conclusion]